-- Silence! silence! s'ecria La Valliere, on vient.
-- On vient en effet, dit Montalais; mais qui peut venir? Tout le
monde est a la messe avec le roi, ou au bain avec Monsieur.
Au bout de l'allee, les jeunes filles apercurent presque aussitot
sous l'arcade verdoyante la demarche gracieuse et la riche stature
d'un jeune homme qui, son epee sous le bras et un manteau dessus,
tout botte et tout eperonne, les saluait de loin avec un doux
sourire.
-- Raoul! s'ecria Montalais.
-- M. de Bragelonne! murmura Louise.
-- C'est un juge tout naturel qui nous vient pour notre differend,
dit Montalais.
-- Oh! Montalais! Montalais, par pitie! s'ecria La Valliere, apres
avoir ete cruelle, ne sois point inexorable!
Ces mots, prononces avec toute l'ardeur d'une priere, effacerent
du visage, sinon du coeur de Montalais, toute trace d'ironie.
-- Oh! vous voila beau comme Amadis, monsieur de Bragelonne! cria-
t elle a Raoul, et tout arme, tout botte comme lui.
-- Mille respects, mesdemoiselles, repondit Bragelonne en
s'inclinant.
-- Mais enfin, pourquoi ces bottes? repeta Montalais, tandis que
La Valliere, tout en regardant Raoul avec un etonnement pareil a
celui de sa compagne, gardait neanmoins le silence.
-- Pourquoi? demanda Raoul.
-- Oui, hasarda La Valliere a son tour.
-- Parce que je pars, dit Bragelonne en regardant Louise.
La jeune fille se sentit frappee d'une superstitieuse terreur et
chancela.
-- Vous partez, Raoul! s'ecria-t-elle; et ou donc allez-vous?
-- Ma chere Louise, dit le jeune homme avec cette placidite qui
lui etait naturelle, je vais en Angleterre.
-- Et qu'allez-vous faire en Angleterre?
-- Le roi m'y envoie.
-- Le roi! s'exclamerent a la fois Louise et Aure, qui
involontairement echangerent un coup d'oeil, se rappelant l'une et
l'autre l'entretien qui venait d'etre interrompu.
Ce coup d'oeil, Raoul l'intercepta, mais il ne pouvait le
comprendre. Il l'attribua donc tout naturellement a l'interet que
lui portaient les deux jeunes filles.
-- Sa Majeste, dit-il, a bien voulu se souvenir que M. le comte de
La Fere est bien vu du roi Charles II. Ce matin donc, au depart
pour la messe, le roi, me voyant sur son chemin, m'a fait un signe
de tete. Alors, je me suis approche." Monsieur de Bragelonne, m'a-
t-il dit, vous passerez chez M. Fouquet, qui a recu de moi des
lettres pour le roi de la Grande-Bretagne; ces lettres, vous les
porterez." Je m'inclinai." Ah! auparavant
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