e assiegeante dans une place assiegee, Louise fit un
mouvement.
-- Si j'aime Raoul! s'ecria-t-elle, mon ami d'enfance, mon frere!
-- Eh! non, non, non! Voila encore que tu m'echappes, ou que
plutot tu veux m'echapper. Je ne te demande pas si tu aimes Raoul,
ton ami d'enfance et ton frere; je te demande si tu aimes M. le
vicomte de Bragelonne, ton fiance?
-- Oh! mon Dieu, ma chere, dit Louise, quelle severite dans la
parole!
-- Pas de remission, je ne suis ni plus ni moins severe que de
coutume. Je t'adresse une question; reponds a cette question.
-- Assurement, dit Louise d'une voix etranglee, tu ne me parles
pas en amie, mais je te repondrai, moi, en amie sincere.
-- Reponds.
-- Eh bien! je porte un coeur plein de scrupule et de ridicules
fiertes a l'endroit de tout ce qu'une femme doit garder secret, et
nul n'a jamais lu sous ce rapport jusqu'au fond de mon ame.
-- Je le sais bien. Si j'y avais lu, je ne t'interrogerais pas, je
te dirais simplement: "Ma bonne Louise, tu as le bonheur de
connaitre M. de Bragelonne, qui est un gentil garcon et un parti
avantageux pour une fille sans fortune. M. de La Fere laissera
quelque chose comme quinze mille livres de rente a son fils. Tu
auras donc un jour quinze mille livres de rente comme la femme de
ce fils; c'est admirable. Ne va donc ni a droite ni a gauche, va
franchement a M. de Bragelonne, c'est-a-dire a l'autel ou il doit
te conduire. Apres? Eh bien! apres, selon son caractere, tu seras
ou emancipee ou esclave, c'est-a-dire que tu auras le droit de
faire toutes les folies que font les gens trop libres ou trop
esclaves." Voila donc, ma chere Louise, ce que je te dirais
d'abord, si j'avais lu au fond de ton coeur.
-- Et je te remercierais, balbutia Louise, quoique le conseil ne
me paraisse pas completement bon.
-- Attends, attends... Mais, tout de suite apres te l'avoir donne,
j'ajouterais: "Louise, il est dangereux de passer des journees
entieres la tete inclinee sur son sein, les mains inertes, l'oeil
vague; il est dangereux de chercher les allees sombres et de ne
plus sourire aux divertissements qui epanouissent tous les coeurs
de jeunes filles; il est dangereux, Louise, d'ecrire avec le bout
du pied, comme tu le fais, sur le sable, des lettres que tu as
beau effacer, mais qui paraissent encore sous le talon, surtout
quand ces lettres ressemblent plus a des L qu'a des B; il est
dangereux enfin de se mettre dans l'esprit mille imaginations
bizarre
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