ent ne provenait ni des fatigues, ni des dangers, ni surtout
des privations, car l'armee ne manquait de rien, mais de l'amour du
pays, qui poursuit le Francais en tous lieux. Il y avait un an entier
qu'on etait en Egypte, et depuis pres de six mois on n'avait aucune
nouvelle de France. Aucun navire n'avait pu passer: une sombre tristesse
devorait tous les coeurs. Chaque jour les officiers et les generaux
demandaient des conges pour repasser en Europe. Bonaparte en accordait
peu, ou bien y ajoutait de ces paroles qu'on redoutait comme le
deshonneur. Berthier lui-meme, son fidele Berthier, devore d'une vieille
passion, demandait a revoir l'Italie. Il fut honteux pour la seconde
fois de sa faiblesse, et renonca a partir. Un jour l'armee avait forme
le projet d'enlever ses drapeaux du Caire, et de marcher sur Alexandrie
pour s'y embarquer. Mais elle n'en eut que la pensee, et n'osa jamais
braver son general. Les lieutenans de Bonaparte, qui donnaient tous
l'exemple des murmures, se taisaient des qu'ils etaient devant lui, et
pliaient sous son ascendant. Il avait eu plus d'un demele avec Kleber.
L'humeur de celui-ci ne venait pas de decouragement, mais de son
indocilite accoutumee. Il s'etaient toujours raccommodes, car Bonaparte
aimait la grande ame de Kleber, et Kleber etait seduit par le genie de
Bonaparte.
On etait en prairial (juin). L'ignorance des evenemens de l'Europe et
des desastres de la France etait toujours la meme. On savait seulement
que le continent etait dans une veritable confusion et qu'une nouvelle
guerre etait inevitable. Bonaparte attendait impatiemment de nouveaux
details, pour prendre un parti et retourner, s'il le fallait, sur le
premier theatre de ses exploits. Mais avant, il voulait detruire la
seconde armee turque, reunie a Rhodes, dont on annoncait le debarquement
tres prochain.
Cette armee, montee sur de nombreux transports, et escortee par la
division navale de Sydney-Smith, parut le 23 messidor (11 juillet) a
la vue d'Alexandrie, et vint mouiller a Aboukir, la meme rade ou notre
escadre avait ete detruite. Le point de debarquement choisi par les
Anglais etait la presqu'ile qui ferme cette rade, et qui porte le meme
nom. Cette presqu'ile etroite s'avance entre la mer et le lac Madieh, et
vient se terminer par un fort. Bonaparte avait ordonne a Marmont, qui
commandait a Alexandrie, de perfectionner la defense du fort, et de
detruire le village d'Aboukir, place tout autour. Mais au lieu de
de
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