ayant plus le droit de deliberer, ils
ne savaient quel parti prendre, et ils voulaient cependant remplir
loyalement leurs devoirs envers la constitution de l'an III. Ils
resolurent donc de se rendre a la commission des inspecteurs, pour
demander a leurs deux collegues, Sieyes et Ducos, s'ils voulaient se
reunir a eux pour reconstituer la majorite, et promulguer du moins le
decret de translation. C'etait la une triste ressource. Il n'etait
pas possible de reunir une force armee, et de venir lever un etendard
contraire a celui de Bonaparte; des lors il etait inutile d'aller aux
Tuileries, affronter Bonaparte au milieu de son camp et de toutes ses
forces.
Ils s'y rendirent cependant, et on les y laissa aller. Ils trouverent
Bonaparte entoure de Sieyes, Ducos, d'une foule de deputes et d'un
nombreux etat-major. Bottot, le secretaire de Barras, venait d'etre fort
mal accueilli. Bonaparte, elevant la voix, lui avait dit: "Qu'a-t-on
fait de cette France, que j'avais laissee si brillante? j'avais laisse
la paix, j'ai retrouve la guerre; j'avais laisse des victoires, j'ai
retrouve des revers; j'avais laisse les millions de l'Italie, et j'ai
trouve des lois spoliatrices et la misere. Que sont devenus cent mille
Francais que je connaissais, tous mes compagnons de gloire? ils sont
morts!" L'envoye Bottot s'etait retire atterre; mais dans ce moment la
demission de Barras etait arrivee et avait calme le general. Il dit a
Gohier et Moulins qu'il etait satisfait de les voir; qu'il comptait
sur leur demission, parce qu'il les croyait trop bons citoyens pour
s'opposer a une revolution inevitable et salutaire. Gohier repondit avec
force qu'il ne venait avec son collegue Moulins que pour travailler
a sauver la republique. "Oui, repartit Bonaparte, la sauver, et avec
quoi?... avec les moyens de la constitution, qui croule de toutes
parts?--Qui vous a dit cela? repliqua Gohier. Des personnes qui n'ont ni
le courage, ni la volonte de marcher avec elle." Une altercation assez
vive s'engagea entre Gohier et Bonaparte. Dans ce moment, on apporta
un billet au general. Il contenait l'avis d'une grande agitation au
faubourg Saint-Antoine. "General Moulins, dit Bonaparte, vous etes
parent de Santerre?--Non, repondit Moulins, je ne suis pas son parent,
mais son ami.--J'apprends, ajouta Bonaparte, qu'il remue dans les
faubourgs; dites-lui qu'au premier mouvement je le fais fusiller."
Moulins repliqua avec force a Bonaparte, qui lui repeta qu'il ferai
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