de faire les premiers pas, il alla a Moreau, lui temoigna
son impatience de le connaitre, et lui exprima une estime qui le toucha
profondement. Il lui donna ensuite un damas enrichi de pierreries, et
parvint a le gagner tout a fait. En quelques jours Moreau fut de sa
cour. Il etait mecontent aussi, et il allait avec tous ses camarades
chez le vengeur presume. A ces guerriers illustres se joignirent des
hommes de toutes les carrieres: on y vit Bruix, l'ex-ministre de la
marine, qui venait de parcourir la Mediterranee a la tete des flottes
francaise et espagnole, homme d'un esprit fin et delie, aussi habile a
conduire une negociation qu'a diriger une escadre. On y vit aussi M.
de Talleyrand, qui avait des raisons de craindre le mecontentement de
Bonaparte, pour n'etre point alle en Egypte. Mais M. de Talleyrand
comptait sur son esprit, sur son nom, sur son importance, pour etre bien
accueilli; il le fut bien. Ces deux hommes avaient trop de gout
l'un pour l'autre, et trop besoin de se rapprocher, pour se bouder
mutuellement. On voyait encore rue Chantereine Roederer, l'ancien
procureur de la commune, homme plein de franchise et d'esprit; Regnault
de Saint-Jean-d'Angely, ancien constituant auquel Bonaparte s'etait
attache en Italie, et qu'il avait employe a Malte, orateur brillant et
fecond.
Mais ce n'etaient pas seulement les disgracies, les mecontens, qui
se rendaient chez Bonaparte. Les chefs actuels du gouvernement s'y
montrerent avec le meme empressement. Tous les directeurs et tous les
ministres lui donnerent des fetes, comme au retour d'Italie. Une grande
partie des deputes des deux conseils se firent presenter chez lui.
Les ministres et les directeurs lui decernerent un hommage bien plus
flatteur, ils vinrent le consulter a chaque instant sur ce qu'ils
avaient a faire. Dubois-Crance, le ministre de la guerre, avait en
quelque sorte transporte son portefeuille chez Bonaparte. Moulins, celui
des directeurs qui s'occupait specialement de la guerre, passait une
partie des matinees avec lui. Gohier, Roger-Ducos y allaient aussi.
Cambaceres, ministre de la justice, jurisconsulte habile, qui avait
pour Bonaparte le gout que les hommes faibles ont pour la force, et que
Bonaparte affectait de caresser pour prouver qu'il savait apprecier le
merite civil; Fouche, ministre de la police, qui voulait echanger son
protecteur use, Barras, contre un protecteur neuf et puissant; Real,
commissaire pres le departement de la Seine, a
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