nement j'essayai de persuader au medecin que
la sante ne m'avait pas abandonne un instant et que cette fievre lente
n'etait qu'un effet de ma preoccupation d'esprit: il froncait le
sourcil, en tenant mon poignet pour interroger les rares pulsations de
l'artere. Mon teint jaune et terreux, mes levres pales et mon regard
eteint, dementaient le sourire que j'essayais de me donner, et les
paroles de confiance, que me suggerait le desir de me faire illusion
a moi-meme. Plus clairvoyant que moi, mon excellent ami le docteur
Charpentier mesurait avec inquietude combien peu d'huile restait dans ma
lampe, sur laquelle un vent fatal avait souffle.
Des soins habiles, devoues, infatigables, parvinrent a me sauver, en
s'opposant a la rage insensee qui m'excitait sans cesse a me remettre
au travail, apres les crises les plus dangereuses de la maladie qui
epuisait le reste de mes forces.
[Illustration: Ce delire avait des acces effrayants.]
Il semblait, cependant, impossible de me guerir de cette folie de lire
ou d'ecrire, folie tour a tour sombre et furieuse; je demandais a grands
cris ma bibliotheque; j'ordonnais, je suppliais, je ne me lassais pas
des refus, et j'etais sourd aux plus sages representations. Ce delire
avait des acces effrayants: tantot je m'imaginais decouvrir des
caracteres d'imprimerie sur quelque partie de mon corps; tantot je me
dressais sur mon seant, pour atteindre un volume qui n'etait que dans ma
fantaisie; je declamais mon catalogue, en recitatif d'opera, ou bien
je jouais le role du commissaire-priseur dans une vente de livres.
Une fois, je poussais l'extravagance jusqu'a me persuader que j'etais
metamorphose en manuscrit sur velin avec de belles lettres peintes et
des miniatures rehaussees d'or; en ce pretendu equipage, je ne laissais
approcher aucune tisane, qui put endommager les merveilles de mes
feuillets enlumines.
[Illustration: Je ne laissais approcher aucune tisane.]
A ce delire aigu succeda une langueur de consomption, qui aboutit
au marasme; j'etais devenu indifferent a tout, meme a mes gouts de
bibliophile, que la medecine eut appeles a son secours, s'ils avaient
pu arreter mon deperissement organique. Le bon docteur Charpentier
desespera de moi, en remarquant l'accueil froid et passif que je fis a
certain bouquin precieux, qu'il m'apportait d'une promenade le long des
quais. Le sens de la bibliomanie paraissait le dernier que j'eusse a
perdre; apres lui, je n'avais plus qu'a rendre l'
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