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--Et que mon pauvre malheureux pere, ajouta Catherine, etait mort avec
lui! Ma mere, vous etes injuste, bien injuste, pour mon pere, que nous
avons eu le malheur de perdre, en cette fatale nuit ou mon frere a peri
au berceau. Je n'avais pas cinq ans d'age et je me rappelle encore a
present cet horrible moment, qui vous a rendue veuve et qui m'a rendue
orpheline. Je ne vous ai pas quittee de toute la nuit, quand vous alliez
gemissant au bord de la Saone et appelant le pere et l'enfant, sans que
personne vous repondit. Je me cramponnais a vos vetements, pleurant
ainsi que vous et tremblant de vous voir tomber dans l'eau noire du
fleuve, qui grondait a vos pieds. Enfin, apres de longues heures, qui me
semblaient des eternites, le jour parut, et c'est moi qui vous servais
de guide, car vous etiez devenue aveugle, comme vous l'etes encore!
--Oui, aveugle, aveugle pour toujours! s'ecria madame Neveu, avec
un accent lamentable. Il y a dix ans que je ne t'ai vue, ma pauvre
Catherine, mais du moins ton image est empreinte dans ma memoire, et je
puis te voir encore avec les yeux de l'ame. Il me semble meme que je te
vois reellement, quand je t'entends parler, quand je te serre dans mes
bras, quand je te sens a mes cotes.... C'est pourtant bien affreux de
vivre ainsi dans des tenebres eternelles! C'est affreux de penser que si
mon fils venait tout a coup a reparaitre, je ne le verrais pas!
--Je donnerais ma vie pour vous le rendre! repartit tristement
Catherine. Vous etes si malheureuse de sa perte, que je voudrais etre
morte a sa place.
--O ma fille, tu ne sais pas ce que c'est qu'un coeur de mere! Il me
faut mes deux enfants, puisque le ciel me les avait donnes! Pourquoi
m'en a-t-il ote un? Est-ce que celui qui me reste peut me faire oublier
celui que j'ai perdu? Crois-tu donc que je te cherirais moins,
si j'avais mes deux enfants? Ne les aimais-je pas autant l'un et
l'autre?... Voila ce que je disais a Dieu dans mon reve, et Dieu m'avait
si bien comprise, qu'il faisait droit a mes plaintes, a ma priere, et
qu'il finissait par me rendre mon fils! Mais, helas! ce n'etait qu'un
reve! Et ce reve n'est plus meme qu'un souvenir qui est deja presque
efface!... Cependant je le vois, comme je le vois toujours, ce cher
enfant!
Catherine n'avait plus le courage de repondre et de donner ainsi de
nouveaux aliments a l'agitation croissante de sa mere: elle s'etait
levee, en pleurant, et s'habillait, sans bruit, tandis que mad
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