e, en ne craignant pas de reparaitre en Bourgogne, ou il
pouvait etre arrete comme huguenot: il avait brave ce danger, pour
enlever le nouveau-ne, sous pretexte que la mere etait incapable de le
nourrir elle-meme et que le salut de l'enfant exigeait qu'il fut confie
a une nourrice. La dame des Roches n'avait pas eu de nouvelles de son
fils depuis plusieurs mois, lorsque le pere lui ecrivit qu'ayant resolu
d'abandonner pour toujours sa patrie ou allait eclater une guerre de
religion, il se faisait un devoir de lui rendre leur enfant qu'il avait
mis en nourrice, et qui, devenu fort et bien portant, serait mieux
soigne desormais par sa mere.
La joie de celle-ci fut aussi vive que sa douleur avait ete profonde
au moment ou son fils lui avait ete enleve. Le jour et l'heure de la
restitution de l'enfant etaient donc fixes.
Andre Fadounet devait revenir de Geneve avec cet enfant, pour le
remettre a la mere: il n'avait qu'a traverser la Saone, a un endroit
designe, au-dessous de Macon, et la dame des Roches, qui l'attendrait a
cet endroit, en pleine nuit, recevrait de ses mains l'enfant, qu'il la
priait de faire elever dans la crainte du Seigneur et qu'il se reservait
de reprendre plus tard, disait-il, pour en faire un bon chretien selon
l'Evangile. La dame des Roches eut le courage de venir, seule avec sa
fille, au-devant de ce cher enfant, que son mari lui ramenait. Ce fut
une nuit epouvantable: la Saone avait deborde, et l'inondation couvrait
en partie les plaines avoisinantes; les eaux etaient trop grosses et
trop rapides pour qu'une barque, si bien conduite qu'elle put etre,
parvint a traverser le fleuve. Madeleine des Roches attendit, toute la
nuit, sur la rive, au milieu de l'inondation qui montait et s'etendait
autour d'elle. La presence de sa fille, agee alors de quatre a cinq ans,
la forca de songer a sa propre conservation, et de ne pas se sacrifier
a sa douleur; mais les six heures d'angoisse et de desespoir qu'elle
passa, cette nuit-la, au bord de la Saone, par le vent et l'humidite,
eurent une action immediate sur sa vue: elle la perdit spontanement,
sous l'influence d'une goutte sereine, et elle etait aveugle quand on
lui annonca qu'une barque, qui traversait le fleuve, avait ete brisee
et coulee a fond par le choc d'un arbre deracine, et que deux ou trois
personnes s'etaient noyes. On retrouva leurs corps, entre autres celui
du seigneur des Roches, qu'on n'eut pas de peine a reconnaitre et qui
fut inhume dans
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