ame Neveu,
qui pleurait aussi, restait sous l'impression de son reve et paraissait
chercher autour d'elle un objet qu'elle ne parvenait pas a retrouver.
C'etait son fils qu'elle cherchait de la sorte, et depuis dix ans
qu'elle l'avait perdu, elle ne se resignait pas encore a subir cette
perte, qui lui etait toujours aussi douloureuse qu'au moment meme de ce
funeste evenement; et, singulier effet d'un pressentiment maternel, elle
s'obstinait, au fond de l'ame, a douter de la mort de son fils, tout en
accusant son mari d'avoir ete cause de cette mort, qu'elle ne voulait
pas lui pardonner, quoiqu'il eut peri lui-meme avec son enfant.
Voici en quelles circonstances la catastrophe avait eu lieu: Madeleine
Neveu, d'une ancienne famille de Poitiers, etait orpheline, lorsqu'elle
epousa Andre Fadounet, seigneur des Roches, qui l'emmena en Bourgogne,
ou il possedait la terre seigneuriale des Roches, sur la rive droite de
la Saone, a quelques lieues de Macon. Cette union ne fut pas heureuse;
les caracteres des deux epoux etaient absolument antipathiques, et la
discorde entra dans leur menage. Le seul lieu qui existat entre eux et
qui faisait diversion a leur mesintelligence, ce fut une sorte d'estime
reciproque pour leurs aptitudes et leurs connaissances litteraires; ils
avaient tous deux la meme ardeur pour l'etude et le meme gout pour
la poesie, mais avec des qualites d'esprit bien differentes. Andre
Fadounet, qui inclinait vers les opinions de la Reforme, avant d'avoir
ouvertement embrasse la religion protestante, ne composait que des vers
religieux et moraux, des psaumes et des poemes evangeliques; sa femme,
au contraire, qui etait bonne catholique et qui tenait a la foi de
ses peres, avait cherche ses modeles chez les poetes grecs et latins,
qu'elle lisait couramment dans leur langue originale. La naissance d'une
fille ne rapprocha pas les epoux, qui vivaient d'autant plus separes
que le mari quittait souvent sa femme pour faire des voyages secrets
a Geneve, dans l'interet de sa foi nouvelle. C'etait le temps ou les
parlements de France poursuivaient criminellement les huguenots,
c'est-a-dire les heretiques, lutheriens ou calvinistes. Andre Fadounet
avait ete signale et menace de poursuites judiciaires. Il se tint
prudemment a l'ecart. Mais quand sa femme lui eut donne un fils, qui
vint au monde en 1560, et qui fut baptise sous ses yeux dans la
chapelle du chateau des Roches, Andre Fadounet obeit a une inspiration
malfaisant
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