it, en l'habillant d'un vieux costume italien, dont la richesse
primitive avait disparu sous une double couche de poussiere et de
crasse: c'etait la livree du singe aux grands jours de gala, et
d'Assoucy, qui succedait directement a l'animal, quitta presque a regret
l'habit galeux et la pauvre condition de page de musique. Il esperait
que la metamorphose qu'on lui faisait subir ne s'etendrait point au
dela; mais Fagottini, pour mieux deguiser l'origine de son heureuse
acquisition, lui barbouilla la figure et les mains d'une teinture noire,
qui penetrait dans les pores de la peau et y laissait une empreinte
ineffacable. L'infortune d'Assoucy protesta vainement contre cette
violation de son traite, qui, en faisant de lui le successeur d'un
singe, ne lui imposait pas le devoir de devenir un negre. Fagottini lui
rit au nez, en jurant par tous les saints du calendrier que l'Afrique ne
produisait pas de plus joli visage d'ebene. Des ce moment, la discorde
fut allumee entre le maitre et son valet.
Ce dernier se consolait du moins, a l'espoir d'un copieux et succulent
repas; mais le fourbe Italien ne lui donna que du pain bis et des
oignons crus, en assaisonnant d'eloges hyperboliques cette pretendue
chere de prince.
D'Assoucy etait tellement affame, que les oignons crus et le pain bis ne
lui parurent ni trop durs ni trop lourds, quoiqu'il n'eut que de l'eau
pour les faire passer. Il avait pourtant reve un meilleur diner, et il
se prit a regretter d'avoir abandonne le Savoyard et perdu ainsi les
benefices frauduleux qu'il pouvait detourner a son profit. Il se rappela
alors qu'il avait oublie toute sa fortune, composee de quelques beaux
ecus, dans les poches de son ancien vetement; mais Fagottini, qui aurait
entendu d'une lieue sonner un liard, avait deja confisque l'argent, et
d'Assoucy eut le chagrin de voir son petit pecule s'engouffrer dans
une enorme bourse de cuir bouilli, qui presentait une rotondite assez
respectable. Cette inique spoliation ne fut pas soufferte sans vehements
reproches et gestes menacants de la part du proprietaire de la petite
somme, qui allait s'ajouter aux economies de son maitre. Celui-ci, dont
le rire redoublait aux emportements de son impuissant adversaire, le
defia de s'enfuir, apres l'avoir enchaine a un anneau de fer, pour lui
enseigner la patience et la resignation.
Pendant que Fagottini ecorchait son singe pour l'empailler, et
raccommodait tant bien que mal celles de ses marionnettes qui
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