me vaudra une grosse somme
pour les dommages qu'ils m'ont faits! Ah! mechants bohemiens, vous
teniez a la chaine ce gentil garcon de noble race, et vous le
maltraitiez comme un ane retif? C'est bien, mes comperes: nous
compterons ensemble, et il n'est pas un soufflet octroye a mon cher
fils, que je veuille rabattre sur le prix, que je vous en dois reclamer.
Viens ca, mon Chariot, viens baiser ton pere, qui te promet justice
contre ces corsaires!
[Illustration: Le pere de Charles d'Assoucy dressant une procedure.]
L'avocat, trempant sa plume dans le _galimard_ ou encrier pendu a sa
ceinture, s'etait mis en devoir de verbaliser, sur son genou, en guise
de pupitre, et repoussait doucement son enfant prodigue qui l'assaillait
de caresses. Le Savoyard et Fagottini, effrayes des menaces d'un
personnage en robe, avaient brusquement tourne le dos, pour se
soustraire au proces-verbal; mais ils n'eurent pas plutot regagne leurs
treteaux respectifs, que le peuple, indigne de cette aventure, voulut se
venger de ces voleurs d'enfant, envahit leurs theatres et y mit le feu,
apres les avoir cherches eux-memes pour les bruler aussi. Le charlatan
et le chansonnier, qui avaient eu le bonheur de s'enfuir, n'assoupirent
qu'a force d'argent une affaire qui pouvait les envoyer, comme des
forcats, ramer sur les galeres du roi.
L'experience du malheur n'avait guere corrige le jeune d'Assoucy, et sa
conduite ne devint pas plus reguliere, a mesure qu'il avancait en age:
il etait trop paresseux pour se plaire a la profession de son pere, et
il prefera une existence aventuriere a une vie tranquille et honorable.
A l'exemple de son premier maitre le Savoyard, il se fit poete et
musicien, composant des airs de musique et des vers bouffons, parodiant
les poemes latins d'Ovide et de Stace, qu'il traduisit ou travestit en
poemes facetieux, jouant du luth dans les maisons des grands seigneurs
et meme a la cour de Louis XIII, voyageant avec son bagage poetique et
musical, ecrivant son histoire vagabonde, mal fame pour les desordres de
ses moeurs, toujours gai et plaisant, toujours ivre et gueux, toujours
en guerre avec Boileau, qui l'a immortalise dans ses satires, comme le
rival du poete Scarron et comme l'_Empereur du Burlesque_, ainsi qu'il
s'etait surnomme lui-meme.
--Pauvre empereur du burlesque! disait d'Assoucy, dans sa vieillesse: tu
n'as pas meme un morceau de pain a te mettre sous la dent!
LA
MASCARADE DE SCARRON
(1627)
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