charge de lui presenter de la part de
Catherine. Madame Neveu ne put reprimer un mouvement de depit et
d'impatience: elle leva au ciel ses yeux sans regard et ne put
s'empecher de gemir.
--Je comprends, dit-elle, que la compagnie d'une mere aveugle et
souffreteuse ait assez peu de charmes pour une jeune fille, qui doit
penser au mariage et qui met son plaisir dans l'etude et la culture des
lettres. Certes, a cet egard, tres cher et bon docteur, je dois vous
savoir mauvais gre d'avoir eveille, par des eloges, l'ambition poetique
de Catherine. Elle ne songe maintenant qu'a faire imprimer ses poesies
et a les dedier a notre souverain poete Pierre de Ronsard, le grand chef
de la Pleiade.
--Certes, on voit tous les jours sortir de dessous la presse maintes
poesies qui ne valent pas celles de mademoiselle Catherine, repondit
Jules de Guersens. Je l'encourage fort a mettre en lumiere ses beaux
vers, avec les votres, Madame....
--Oh! ne parlez pas de ces vanites du monde qui n'ont plus d'attraits
pour moi! reprit madame Neveu, avec tristesse. Catherine a eu grand tort
de vous montrer ces faibles essais de ma frivole jeunesse, que j'avais
oublies et que je veux aneantir. J'etais heureuse alors, ou plutot je
croyais l'etre un jour; j'avais foi dans l'avenir, j'allais m'unir par
les liens sacres du mariage a un homme qui me semblait digne de mon
estime et de mon attachement; la vie s'ouvrait a moi avec toutes ses
joies, toutes ses esperances, toutes ses promesses, la poesie debordait
de mon coeur, et je celebrais dans mes vers tout ce qui semblait fait
pour m'inspirer, la nature et ses merveilles, les plaisirs des champs,
les grandeurs de notre sainte religion, les nobles sentiments de l'ame,
l'amour conjugal, l'amour maternel...Helas! je suis entree bientot dans
les deceptions et les amertumes de l'existence humaine, et l'etoile de
la poesie a cesse de luire sur mon chemin sombre et douloureux.
Madame Neveu avait une vive sympathie pour Jules de Guersens, qui
l'environnait de soins vigilants et qui ne desesperait pas de lui rendre
la vue. Il ne la flattait pourtant pas de cet espoir, qu'il craignait
de ne pouvoir realiser aussi promptement et aussi surement qu'il l'eut
voulu, mais il lui disait que la nature etait plus puissante que l'art,
et il l'invitait a mettre sa confiance en Dieu, qui faisait encore des
miracles dans les cures de la medecine. Il n'ignorait pas que la pauvre
aveugle avait perdu un fils au berceau, d
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