r; il repassait, en imagination, par toutes les
horreurs de la catastrophe dans laquelle il avait failli perir; il
croyait encore se debattre au milieu des eaux qui l'engloutissaient, et
il repetait d'une voix eteinte: "Plus de pere! plus de mere!"
Catherine, inquiete et desolee de l'exaltation delirante de son malade,
se sentait impuissante a le soulager. Jules de Guersens revint, par
bonheur, avec les medicaments dont il avait juge prudent de se munir;
il administra une potion calmante a l'enfant, qui pouvait etre atteint
d'une fievre chaude: l'effet salutaire de cette potion fut presque
immediat; le malade s'apaisa comme par enchantement et s'endormit d'un
sommeil bienfaisant et reparateur.
--Mon cher maitre, dit Catherine a Jules de Guersens, cet enfant est un
orphelin que Dieu nous a envoye pour que nous lui servions de pere et de
mere. Voyez comme il dort d'un bon sommeil? Il s'eveillera gueri. Mais
quand s'eveillera-t-il? C'est a moi de le garder et de veiller sur lui,
pour achever votre oeuvre, car c'est vous qui l'avez sauve, comme l'ange
qui protegeait Tobie. Je vous adjure de voir ma mere et d'inventer
quelque beau pretexte qui motive mon absence, vis-a-vis d'elle.
Dites-lui que je suis un peu souffrante, et que je viens de rentrer,
incommodee de ma promenade sous le soleil du printemps... Mais, non,
cherchez plutot un pretexte quelconque qui n'ait pas lieu de lui donner
du souci a mon egard; dites-lui que vous me laissez avec mon Tobie et
que je viens de composer une scene bien touchante, dont l'ange Raphael
aura tout l'honneur.
Jules de Guersens serra la main de la jeune fille, et il la contempla en
silence avec une tendre admiration. Catherine avait repose ses regards
sur l'enfant qui dormait du sommeil le plus paisible. Le medecin
s'eloigna en soupirant, emu et charme de la delicate sollicitude avec
laquelle mademoiselle Neveu remplissait son role de garde-malade.
--Heureux, pensait-il en se rendant chez madame Neveu, qu'il eut
volontiers oubliee pour rester avec sa fille, heureux celui qui sera
juge digne d'obtenir la main de cette muse d'innocence, que j'ai
surnommee la Minerve francaise. Elle vaut plus, a elle seule, que les
neuf Muses du Parnasse antique!
Madame Neveu s'etonnait et s'attristait que sa fille l'eut abandonnee
si longtemps, et encore n'etait-ce pas elle qui lui amenait le medecin.
Celui-ci ne reussit pas a faire agreer a cette mere jalouse et exigeante
les excuses qu'il s'etait
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