je dois marier, quand elle aura l'age, en la dotant et en l'attachant a
mon service.
--Helas! madame, dit le bon cure de Meudon avec un triste pressentiment,
je crains bien que ce ne soit pas moi qui fasse ce beau mariage, car je
suis bien vieux et je sens que je touche a la fin de ma carriere, mais,
du moins, ajouta-t-il en riant, j'espere avoir le temps de baptiser un
juif et d'en faire un gentil enfant de choeur.
Rabelais mourut l'annee suivante. Au lit de mort, le joyeux auteur du
roman de Gargantua et de Pantagruel put se dire qu'il avait converti
quatre juifs au christianisme et qu'il laissait, apres lui, pour
repondre aux calomnies de ses ennemis, quatre bons chretiens de sa
facon.
LES
PRESSENTIMENTS MATERNELS
DE MADAME DESROCHES
(1571)
Dans une maison d'un des faubourgs de la ville de Poitiers, demeurait,
au XVIe siecle, une dame aveugle, avec sa fille unique, nommee
Catherine. Cette dame, encore jeune, avait perdu la vue, disait-on, par
suite d'un accident. Elle possedait une fortune independante, qui lui
venait de son mari, qu'elle avait vu mourir peu d'annees apres son
mariage; elle se faisait appeler madame Madeleine Neveu, mais on
assurait que ce n'etait pas son veritable nom et que, du vivant de son
mari, qui devait etre de bonne noblesse, elle avait habite, sous un
autre nom, une ville de la Bourgogne, car elle conservait de grands
biens en terres et en vignobles dans cette province. Jamais elle ne
parlait de sa famille, ni de sa fortune, ni de son epoux defunt.
Elle vivait tres retiree, ne s'occupant que de bonnes oeuvres et de
l'education de sa fille, agee alors de 14 ou 15 ans, aussi belle et
aussi gracieuse que simple et modeste, intelligente et naive a la
fois, et beaucoup plus instruite que ne l'etaient a cette epoque les
demoiselles de qualite.
[Illustration: La mere et la fille s'entretenaient ensemble]
Un matin de printemps, en l'annee 1571, la mere et la fille
s'entretenaient ensemble dans une vaste chambre, sombre et froide, ou
elles couchaient l'une pres de l'autre, la mere dans un lit immense,
entoure de courtines ou tentures de laine, toujours fermees, pour
empecher les courants d'air, la fille dans un petit lit bas et sans
rideaux, car celle ci, depuis plus de dix ans, avait pris a tache de
soigner sa mere et de veiller sur elle jour et nuit.
--Chere mere, disait Catherine, vous etiez terriblement agitee dans
votre sommeil. Vous avez plus d'une fois parle a
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