oi, le sorcier, moi, moi, moi!
--Qui donc avait arrache les navets? repartit le juif, qui refusait de
croire a l'assertion de Rabelais. Qui donc les avait mis en tas avec
tant de savoir-faire? Qui donc avait cache parmi les navets l'escarcelle
pleine d'or?
--C'etait moi! repliqua Rabelais. Vous aviez seme, bonnes gens, et j'ai
fait pour vous la moisson, a telle enseigne que je suis encore fatigue
et plus fatigue qu'un sorcier ne pourrait l'etre. Croyez en Dieu, mes
enfants, ajouta-t-il, et ne croyez pas aux sorciers!
Il s'etait leve pour prendre conge de la famille, qu'il venait de sauver
d'une mort certaine et qu'il promettait de ne pas abandonner. Il fut
suivi par le pere et les enfants, qui le comblaient de benedictions,
auxquelles la femme paralytique unissait mentalement les siennes.
Rabelais les quitta, en s'engageant a revenir les voir le lendemain et
en leur conseillant de se defier maintenant des voleurs plutot que des
sorciers, puisqu'il leur laissait un petit pecule pour subvenir a leurs
premieres necessites. Il monta sur l'anesse du presbytere et se fit
conduire, par son sacristain, au chateau de Meudon.
--Madame, dit-il en arrivant, a la duchesse de Guise, je vous apporte
une bonne action a faire pour gagner des benedictions en ce monde et des
indulgences dans l'autre, ou je souhaite que vous alliez le plus tard
possible.
--Que faut-il faire pour cela? repondit la duchesse. Je vous remercie
d'avance, monsieur le cure, de me faire participer a une de vos oeuvres
de charite. Mais de quoi s'agit-il?
[Illustration: Madame, je vous apporte une bonne action a faire.]
--Il s'agit, dit Rabelais, de guerir un lepreux et une paralytique, de
donner le gite, la nourriture et le vetement a quatre miserables, qui,
depuis un an et plus, souffrent du froid, de la faim et de toutes les
privations; il s'agit de convertir quatre juifs a notre sainte religion,
de marier une jolie fillette et de donner un enfant de choeur au cure de
Meudon.
Rabelais raconta son aventure avec une eloquence qui mit les larmes aux
yeux de la duchesse et qui en meme temps la fit rire de bon coeur. Elle
promit tout ce que voulait son bon cure, et le duc de Guise, qui se
fit conter l'histoire pendant le souper et qui en fut aussi touche que
diverti, declara, en riant, qu'il entendait etre le parrain du petit
juif, que Rabelais se proposait de baptiser lui-meme.
--Et moi, dit la duchesse, je serai la marraine de la petite juive, que
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