on vous gronderait quand vous
rentreriez!
Les paysannes s'appreterent a suivre ce bon conseil et, avant de
s'eloigner, elles prierent le cure de leur donner sa benediction: il la
leur donna de bon coeur et paternellement.
--Nous faisons des voeux, dit une de ces femmes, pour que votre sainte
benediction, monsieur le cure, s'etende jusqu'a ce scelerat de juif ou
de bohemien, qui est venu avec ses louveteaux se loger dans nos bois, a
seule fin de nous porter malheur.
--Je ne sais si c'est un bohemien ou un juif, reprit severement
Rabelais, mais a coup sur ce n'est pas un scelerat: c'est un pauvre
homme qui merite qu'on le plaigne, et qu'on lui vienne en aide, parce
qu'il est malheureux.
Rabelais s'eloigna, en laissant les paysannes un peu confuses de la
lecon qu'il leur avait donnee et qui leur rappela que le cure de Meudon
passait dans le pays pour un partisan deguise de la Reforme calviniste.
L'Angelus etait sonne a l'eglise du village, quand le cure revint du
chateau ou il avait passe toute la journee avec le duc et la duchesse de
Guise. Le jour commencait a baisser, et l'on voyait dans le lointain les
vapeurs du soir monter et s'etendre au dessus des bois qui environnaient
le village. En approchant d'un sentier qui conduisait dans la foret,
Rabelais crut entendre des sanglots etouffes, et il apercut a quelque
distance une jeune fille immobile au pied d'un arbre. Il s'approcha
rapidement et retint par le bras cette jeune fille qui se disposait a
s'enfuir.
--Vous pleurez, mon enfant? lui dit-il avec douceur. Avez-vous donc
sujet de pleurer, a votre age ou tout est si bon et si beau dans la vie!
Quelle est la cause de vos larmes? Je serais heureux de pouvoir les
essuyer et de vous faire gaie et joyeuse.
--Est-ce que je pleure, mon tres honore seigneur? dit-elle, en devorant
ses sanglots. Je ne pleure pas, reprit-elle avec un accent de depit et
de colere, non, je ne pleure pas, mais les gens de ce pays sont bien
mechants!
--Ils sont comme partout, pauvre petite! repliqua Rabelais, qui
regardait avec interet cette jeune fille, miserablement vetue, mais dont
la physionomie intelligente ne manquait ni de distinction ni de fierte.
Il y a sans doute plus de mechants que de bons, mais aussi il y a plus
de betes que de mechants. Vous a-t-on fait du mal? Auriez-vous a vous
plaindre de quelqu'un? C'est un devoir pour moi de vous faire rendre
justice et de vous prendre sous ma protection.
--Il faut que vous ne
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