illants, sur le bord de la table. L'enfant
fixait sur cet or des yeux emerveilles, comme s'il n'en eut jamais
vu. Le bon cure reflechit un instant, puis il etendit la main vers un
coffret de fer cisele, a demi cache sous les papiers dont la table etait
couverte; il l'ouvrit en faisant jouer un ressort qui le fermait et il
y prit dix pieces d'or, qu'il reunit aux premieres; il remit ensuite le
tout dans l'escarcelle, qu'il fit disparaitre dans une des poches de sa
robe.
--Nous allons dejeuner avant de partir, dit Rabelais a l'enfant qui ne
revenait pas encore de son etonnement admiratif. Il y a loin d'ici
au Camp des Sorcieres! Je m'apercois que nous avons l'un et l'autre
l'estomac aussi vide que la bourse d'un pauvre homme.
Il emmena l'enfant, par la main, dans une salle basse, ou la table etait
copieusement servie: un jambon, des andouilles fumees sortant de dessus
le gril, un chapon gras sortant de la broche et deux flacons de vin
rouge et blanc. L'enfant aspirait delicieusement l'odeur de la chair
cuite, et regardait d'un oeil stupefait les apprets de ce succulent
repas.
--Nous ne mangerons qu'une bouchee, dit Rabelais, et ne boirons qu'un
coup de vin pour nous donner coeur au ventre. Mange et bois, mon fils!
Que la sainte benediction de Dieu descende sur ta pauvre et honnete
famille!
Il avait servi lui-meme son jeune convive, qui hesitait encore a manger
et a boire, mais qui bientot, encourage par la bonne humeur du cure, se
mit a l'imiter a belles dents et a plein gosier. Il buvait et mangeait
comme s'il avait soif et faim depuis six mois. Rabelais se rejouissait
de lui voir ce furieux appetit, et il lui donnait l'exemple a plaisir.
--Dis-moi, petit, lui demanda-t-il, lequel de vous sait donc lire dans
la famille?
--Nous savons tous lire, monseigneur le cure, repondit l'enfant le plus
simplement du monde.
--Tous? s'ecria Rabelais surpris et charme. Voila de braves et dignes
gens! La fille et le fils savent lire aussi! Ne veux-tu pas rester avec
moi, mon cher enfant, ajouta-t-il, en l'embrassant encore une fois comme
un pere.
--Oh! bien volontiers, reprit l'enfant avec une vive emotion, oui,
volontiers, monseigneur le cure! Mais vous me permettrez de voir souvent
mon pere, et ma mere, et ma soeur?
--Assurement, dit Rabelais. Ce n'est pas moi, Dieu merci, qui voudrais
separer a toujours l'enfant de son pere et de sa mere! Ca, mon cher
fils, quel est ton nom de bapteme? Que je puisse te donner ce
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