toujours de se mettre en garde lui-meme
contre la mechancete et la violence. Cependant il n'avait jamais d'armes
pour se defendre, lorsqu'il s'en allait ainsi a toute heure de nuit dans
la campagne, soit pour observer les astres et l'etat du ciel, car il
etait astronome, soit pour chercher des oiseaux et des insectes, car
il etait naturaliste, soit pour donner des soins a des malades, car il
etait medecin, soit pour porter des consolations a des mourants, car
il etait pretre, soit pour etudier et admirer la nature, car il etait
surtout philosophe, et sa pensee s'elevait sans cesse vers Dieu, en
interrogeant les mysteres de la sagesse divine.
Il n'y avait pas de lune, ce soir-la, mais le ciel etait etoile, et une
pale clarte, qui traversait par intervalles l'obscurite, permettait de
reconnaitre de loin la forme des objets sans en percevoir les couleurs.
Rabelais apercut une espece de grande ombre mouvante, qui semblait
s'avancer de son cote; puis il entendit tres distinctement le pas lourd
et lent d'un homme qu'il entrevoyait de temps a autre a travers les
arbres qui bordaient la route. Il preta l'oreille et resta immobile, les
yeux fixes sur cet homme qu'il ne distinguait pas encore suffisamment
pour juger s'il devait s'inquieter ou se rassurer; mais il ne songea
point a fuir pour eviter une rencontre qui pouvait etre indifferente
et inoffensive. L'homme venait aussi d'apercevoir Rabelais: il s'etait
arrete soudain en face de lui, dans une sorte d'attente et d'indecision.
Ils se trouvaient alors a cent pieds de distance l'un de l'autre, tous
deux absolument degages des ombres que projetaient les arbres dont ils
etaient entoures, mais cette distance etait trop grande et la nuit trop
obscure, pour qu'ils pussent apprecier leurs intentions reciproques
d'apres leur physionomie et leur contenance. Apres quelques instants de
reflexion, Rabelais, remarquant que l'inconnu n'avait plus fait un pas,
ni en avant ni en arriere, marcha droit a lui et le vit s'eloigner tout
doucement et disparaitre sans bruit. Il craignit alors de tomber dans
une embuscade et s'arreta de nouveau. On n'entendait pas le plus leger
bruit.
[Illustration: L'enfant s'enfuit en courant et disparut.]
--Y a-t-il quelqu'un ici? demanda Rabelais a haute voix. La personne que
je suis venu chercher est-elle la?
Personne ne repondit, et aucun bruit vivant ne se fit entendre. Mais
tout a coup voici qu'une petite ombre se detache de la masse des
feuillages
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