eme pas, mon ami, lui dit Rabelais avec un geste imperatif:
aie foi en la bonte et la misericorde de Dieu!
Le lepreux n'essaya pas de resister a l'ordre qu'on lui donnait d'une
maniere si solennelle, d'autant plus qu'en se relevant il avait
contemple avec effroi l'etre extraordinaire qui etait devant lui, et
qu'il prenait pour un sorcier ou pour un spectre. Il obeit donc en
silence et s'eloigna aussitot. Rabelais executa immediatement le projet
qu'il avait concu. Il ne pensait plus a la fatigue qu'il ressentait
avant d'avoir rencontre sur son chemin le pauvre lepreux. Il se
debarrassa lestement de son chapeau lumineux, de sa gerbe de plantes
et de feuillages, de sa collection d'insectes et de petits animaux
nocturnes; il ota sa robe et sa casaque de dessous, qui auraient gene
ses mouvements; puis, en manches de chemise, comme un moissonneur, il
saisit la pioche et s'en servit d'une main vigoureuse pour remuer la
terre et en arracher les navets qui y avaient pousse. La besogne fut
longue et penible, mais, au bout de trois heures de travail, il avait
fini de retourner le petit champ de navets, et la recolte qu'il en avait
tiree formait un tas considerable, qu'il devait laisser sous la garde
de Dieu avec la pioche dont il s'etait mieux servi que le malheureux
proprietaire de la culture. On n'avait pas lieu de craindre les voleurs
dans un endroit aussi desert.
Rabelais, au moment de se r'habiller et de se remettre en route, ne
rattacha pas son escarcelle, grosse bourse en cuir, fermee par un
ressort de cuivre, qu'il portait d'ordinaire sous ses vetements; il la
cacha parmi les navets, qui la couvrirent entierement de leurs feuilles.
Il n'avait pas songe a verifier quelle pouvait etre la somme d'argent
contenue dans cette bourse, qu'il avait apportee vide au chateau de
Meudon et qu'il en avait rapportee pleine peu de jours auparavant, mais
les aumones, qu'il repandait a pleines mains, avaient deja sans doute
beaucoup diminue le petit tresor dont la duchesse de Guise lui confiait
la distribution charitable. Il se hata de reprendre ses habits, son
chapeau et son butin de naturaliste; puis, apres avoir remercie Dieu qui
lui donnait encore la force et les moyens d'etre utile a un malheureux,
il se remit en marche et ne tarda pas a gagner Meudon, lorsque les
premieres lueurs matinales commencaient a monter dans le ciel et a dorer
l'horizon.
[Illustration: Le sacristain avait fini par s'endormir.]
Il n'avait rencontre pers
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