mes commeres. C'est ce que m'a conte le gros chantre de l'eglise de
Meudon....
--Silence! interrompit celle qui marchait en avant. Voici venir messire
le recteur, notre bon et digne cure, qui se rend au chateau pour visiter
notre revere seigneur le duc de Guise et madame la duchesse.
Le recteur et cure du village de Meudon etait alors un savant illustre,
un ecrivain de grand renom, le fameux Francois Rabelais, qui avait ete
tour a tour pretre et cordelier dans le couvent de Fontenay-le-Comte,
medecin de l'hopital de Lyon, medecin et secretaire du cardinal du
Bellay a Rome, religieux seculier de l'abbaye de Saint-Maur-des-Fosses
pres de Paris, et qui s'etait fait connaitre non seulement par des
ouvrages de science medicale et d'erudition litteraire, mais encore par
une admirable satire de la societe tout entiere, ainsi que des moeurs et
des idees de son temps, intitulee _la Vie du grand geant Gargantua
et les Faits et prouesses de son fils Pantagruel_, espece de roman
fantastique, dans lequel la plus haute raison se cachait sous un masque
de bouffonnerie extravagante.
Rabelais avait alors pres de soixante-dix ans; il etait de taille
moyenne, avec un embonpoint florissant qui temoignait de sa belle sante;
il portait la tete haute et droite, marchant d'un pas ferme et presque
solennel; sa figure, toujours souriante, empreinte a la fois de bonte et
de malice, inspirait de prime abord la sympathie et la confiance; malgre
son grand age atteste par ses cheveux blancs, rien n'accusait en lui
la decrepitude ni la senilite. C'etait un vieillard qui conservait les
forces et les apparences de la jeunesse.
Son costume annoncait un medecin de la Faculte, ou un docteur de
Sorbonne, plutot qu'un homme d'eglise; il etait coiffe d'une sorte de
toque ou bonnet carre en velours noir, qu'on appelait _barrette_ et qui
cachait sa calotte de cuir bouilli; il n'avait ni rabat, ni surplis,
mais une longue robe ample et flottante, boutonnee par devant, en
etoffe de grosse laine ou etamine noiratre; il avait les mains nues et
s'appuyait sur un gros baton en bois d'ebene a pomme d'ivoire. C'etait
la, il est vrai, un habillement de ceremonie, puisqu'il venait rendre
visite a ses bons paroissiens, le seigneur et la dame du chateau de
Meudon, ou il etait toujours le bien-venu et l'hote desire; mais,
d'ordinaire, quand il allait voir les malades, faire l'aumone aux
pauvres ou consoler les affliges, il n'etait pas autrement vetu qu'en
bon paysa
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