us Allouma. Elle ne me vit pas, ne m'entendit point,
absorbee tout entiere par le souci du saint; et elle parlait, a mi-voix,
elle lui parlait, se croyant bien seule avec lui, racontant au serviteur
de Dieu toutes ses preoccupations. Parfois elle se taisait un peu pour
mediter, pour chercher ce qu'elle avait encore a dire, pour ne rien
oublier de sa provision de confidences; et parfois aussi elle s'animait
comme s'il lui eut repondu, comme s'il lui eut conseille une chose
qu'elle ne voulait point faire et qu'elle combattait avec des
raisonnements.
Je m'eloignai, sans bruit, ainsi que j'etais venu, et je rentrai pour
diner.
Le soir, je la fis venir et je la vis entrer avec un air soucieux
qu'elle n'avait point d'ordinaire.
--Assieds-toi la, lui dis-je en lui montrant sa place sur le divan, a
mon cote.
Elle s'assit et comme je me penchais vers elle pour l'embrasser elle
eloigna sa tete avec vivacite.
Je fus stupefait et je demandai:
--Eh bien, qu'y a-t-il?
--C'est Ramadan, dit-elle.
Je me mis a rire.
--Et le Marabout t'a defendu de te laisser embrasser pendant le Ramadan?
--Oh oui, je suis une Arabe et tu es un Roumi!
--Ce serait un gros peche?
--Oh oui!
--Alors tu n'as rien mange de la journee, jusqu'au coucher du soleil?
--Non, rien.
--Mais au soleil couche tu as mange?
--Oui.
--Eh bien, puisqu'il fait nuit tout a fait tu ne peux pas etre plus
severe pour le reste que pour la bouche.
Elle semblait crispee, froissee, blessee et elle reprit avec une hauteur
que je ne lui connaissais pas.
--Si une fille arabe se laissait toucher par un Roumi pendant le
Ramadan, elle serait maudite pour toujours.
--Et cela va durer tout le mois.
Elle repondit avec conviction:
--Oui, tout le mois de Ramadan.
Je pris un air irrite et je lui dis:
--Eh bien, tu peux aller le passer dans ta famille, le Ramadan.
Elle saisit mes mains et les portant sur son coeur:
--Oh! je te prie, ne sois pas mechant, tu verras comme je serai
gentille. Nous ferons Ramadan ensemble, veux-tu? Je te soignerai, je te
gaterai, mais ne sois pas mechant.
Je ne pus m'empecher de sourire tant elle etait drole et desolee, et je
l'envoyai coucher chez elle.
Une heure plus tard, comme j'allais me mettre au lit, deux petits coups
furent frappes a ma porte, si legers que je les entendis a peine.
Je criai: "Entrez" et je vis apparaitre Allouma portant devant elle un
grand plateau charge de friandises arabes,
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