irer dans l'armoire
a glace en acajou que j'avais fait venir de Miliana. Elle s'admirait
en toute conscience, debout, devant la grande porte de verre ou elle
suivait ses mouvements avec une attention profonde et grave. Elle
marchait la tete un peu penchee en arriere, pour juger ses hanches et
ses reins, tournait, s'eloignait, se rapprochait, puis, fatiguee enfin
de se mouvoir, elle s'asseyait sur un coussin et demeurait en face
d'elle-meme, les yeux dans ses yeux, le visage severe, l'ame noyee dans
cette contemplation.
Bientot, je m'apercus qu'elle sortait presque chaque jour apres le
dejeuner, et qu'elle disparaissait completement jusqu'au soir.
Un peu inquiet, je demandai a Mohammed s'il savait ce qu'elle
pouvait faire pendant ces longues heures d'absence. Il repondit avec
tranquillite:
--Ne te tourmente pas, c'est bientot le Ramadan. Elle doit aller a ses
devotions.
Lui aussi semblait ravi de la presence d'Allouma dans la maison; mais
pas une fois je ne surpris entre eux le moindre signe un peu suspect,
pas une fois, ils n'eurent l'air de se cacher de moi, de s'entendre, de
me dissimuler quelque chose.
J'acceptais donc la situation telle quelle sans la comprendre, laissant
agir le temps, le hasard et la vie.
Souvent, apres l'inspection de mes terres, de mes vignes, de mes
defrichements, je faisais a pied de grandes promenades. Vous connaissez
les superbes forets de cette partie de l'Algerie, ces ravins presque
impenetrables ou les sapins abattus barrent les torrents, et ces petits
vallons de lauriers-roses qui, du haut des montagnes, semblent des tapis
d'Orient etendus le long des cours d'eau. Vous savez qu'a tout moment,
dans ces bois et sur ces cotes, ou on croirait que personne jamais
n'a penetre, on rencontre tout a coup le dome de neige d'une koubba
renfermant les os d'un humble marabout, d'un marabout isole, a peine
visite de temps en temps par quelques fideles obstines, venus du douar
voisin avec une bougie dans leur poche pour l'allumer sur le tombeau du
saint.
Or, un soir, comme je rentrais, je passai aupres d'une de ces chapelles
mahometanes, et ayant jete un regard par la porte toujours ouverte, je
vis qu'une femme priait devant la relique. C'etait un tableau charmant,
cette Arabe assise par terre, dans cette chambre delabree, ou le vent
entrait a son gre et amassait dans les coins, en tas jaunes, les fines
aiguilles seches tombees des pins. Je m'approchai pour mieux regarder,
et je reconn
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