s piaux-la?
--Pas plus que la tienne, vu que c'est sa couleur.
Donc, apres beaucoup de questions encore, il fut convenu que les parents
verraient cette fille avant de rien decider et que le garcon, dont le
service allait finir l'autre mois, l'amenerait a la maison afin qu'on
put l'examiner et decider en causant si elle n'etait pas trop foncee
pour rentrer dans la famille Boitelle.
Antoine alors annonca que le dimanche 22 mai, jour de sa liberation, il
partirait pour Tourteville avec sa bonne amie.
Elle avait mis pour ce voyage chez les parents de son amoureux ses
vetements les plus beaux et les plus voyants, ou dominaient le jaune, le
rouge et le bleu, de sorte qu'elle avait l'air pavoisee pour une fete
nationale.
Dans la gare, au depart du Havre, on la regarda beaucoup, et Boitelle
etait fier de donner le bras, a une personne qui commandait ainsi
l'attention. Puis, dans le wagon de troisieme classe ou elle prit place
a cote de lui, elle imposa une telle surprise aux paysans que ceux des
compartiments voisins monterent sur leurs banquettes pour l'examiner
par-dessus la cloison de bois qui divisait la caisse roulante. Un
enfant, a son aspect, se mit a crier de peur, un autre cacha sa figure
dans le tablier de sa mere.
Tout alla bien cependant jusqu'a la gare d'arrivee. Mais lorsque le
train ralentit sa marche en approchant d'Yvetot, Antoine se sentit mal
a l'aise, comme au moment d'une inspection quand il ne savait pas sa
theorie. Puis, s'etant penche a la portiere, il reconnut de loin son
pere qui tenait la bride du cheval attele a la carriole, et sa mere
venue jusqu'au treillage qui maintenait les curieux.
Il descendit le premier, tendit la main a sa bonne amie, et, droit,
comme s'il escortait un general, il se dirigea vers sa famille.
La mere, en voyant venir cette dame noire et bariolee en compagnie de
son garcon, demeurait tellement stupefaite qu'elle n'en pouvait ouvrir
la bouche, et le pere avait peine a maintenir le cheval que faisait
cabrer coup sur coup la locomotive ou la negresse. Mais Antoine, saisi
soudain par la joie sans melange de revoir ses vieux, se precipita, les
bras ouverts, becota la mere, becota le pere malgre l'effroi du bidet,
puis se tournant vers sa compagne que les passants ebaubis consideraient
en s'arretant, il s'expliqua.
--La v'la! J'vous avais ben dit qu'a premiere vue alle est un brin
detournante, mais sitot qu'on la connait, vrai de vrai, y a rien de plus
plaisant s
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