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que mon ami l'avait achete.
Je lui ai donne des lettres, en effet,--toutes mes lettres.--Il les
portait et me rapportait les reponses.
Cela a dure deux mois environ. Nous avions confiance en lui, comme vous
aviez confiance en lui, vous aussi.
Or, pere, voici ce qui arriva. Un jour, dans la meme ile ou j'etais
venue a la nage, mais, seule, cette fois, j'ai retrouve votre
ordonnance. Cet homme m'attendait et il m'a prevenue qu'il allait nous
denoncer a vous et vous livrer des lettres gardees par lui, volees, si
je ne cedais point a ses desirs.
Oh! pere, mon pere, j'ai eu peur, une peur lache, indigne, peur de vous
surtout, de vous si bon, et trompe par moi, peur pour lui encore,--vous
l'auriez tue--pour moi aussi, peut-etre, est-ce que je sais, j'etais
affolee, eperdue, j'ai cru l'acheter encore une fois ce miserable qui
m'aimait aussi, quelle honte!
Nous sommes si faibles, nous autres, que nous perdons la tete bien plus
que vous. Et puis, quand on est tombe, on tombe toujours plus bas, plus
bas. Est-ce que je sais ce que j'ai fait? J'ai compris seulement qu'un
de vous deux et moi allions mourir--et je me suis donnee a cette brute.
Vous voyez, pere, que je ne cherche pas a m'excuser.
Alors, alors--alors, ce que j'aurais du prevoir est arrive--il m'a prise
et reprise quand il a voulu en me terrifiant. Il a ete aussi mon amant,
comme l'autre, tous les jours. Est-ce pas abominable? Et quel chatiment,
pere?
Alors, moi, je me suis dit. Il faut mourir. Vivante, je n'aurais pu vous
confesser un pareil crime. Morte, j'ose tout. Je ne pouvais plus faire
autrement que de mourir, rien ne m'aurait lavee, j'etais trop tachee. Je
ne pouvais plus aimer, ni etre aimee; il me semblait que je salissais
tout le monde, rien qu'en donnant la main.
Tout a l'heure, je vais aller prendre mon bain et je ne reviendrai pas.
Cette lettre pour vous ira chez mon amant. Il la recevra apres ma mort,
et sans rien comprendre, vous la fera tenir, accomplissant mon dernier
voeu. Et vous la lirez, vous, en revenant du cimetiere.
Adieu, pere, je n'ai plus rien a vous dire. Faites ce que vous voudrez,
et pardonnez-moi."
Le colonel s'essuya le front couvert de sueur. Son sang-froid, le
sang-froid des jours de bataille lui etait revenu tout a coup.
Il sonna.
Un domestique parut.
--Envoyez-moi Philippe, dit-il.
Puis, il entr'ouvrit le tiroir de sa table.
L'homme entra presque aussitot, un grand soldat a moustaches rousses,
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