dire l'homme _est une raison_, comme on dit
qu'il _est une_ intelligence.]
Mais ici, dans cette categorie de l'etre, Abelard fait encore une
distinction, le corps marque une limite, au-dessus ou au-dessous de
laquelle les principes ne sont plus les memes. Au-dessus du corps, la
science ne considere plus que des idees qui peuvent etre vraies, sans
correspondre a aucune realite distincte; au-dessous du corps, les genres
et les especes peuvent etre des abstractions, mais elles correspondent a
des collections de realites. Dans la partie superieure de cette
serie, les mots de matiere et de forme sont encore employes, mais par
induction, par symetrie, et comme pour ordre. C'est une des marques les
plus frappantes de ce besoin et de ce pouvoir d'unite, qui caracterise
la raison. Mais cette concordance symetrique n'autoriserait pas a
accoupler arbitrairement les divers produits de la pensee generatrice,
et c'est une regle qu'on ne peut franchir un degre pour associer des
matieres et des formes qui ne sont point immediatement juxtaposees.
Quant a l'union des matieres a des matieres, ou des formes a des formes,
il est evident qu'elle serait un non-sens. Seulement, il faut observer
que telle est la valeur de la difference entre les deux parties de
l'echelle, qu'Abelard n'a pas hesite a penser que la matiere du premier
degre ou la pure essence pouvait, en acquerant la susceptibilite
des contraires, devenir indifferemment la matiere de deux formes
contradictoires, et que le support de l'incorporel pouvait etre le
meme que celui du corporel. Cela n'est possible qu'a ce degre de
l'abstraction; et certes une telle pensee aurait bien merite d'etre
approfondie au point de vue de la nature reelle des choses. Mais le
propre de la scolastique est de donner la forme ontologique a tout, et
de ne considerer l'ontologie veritable que de profil; elle la cotoie
sans cesse; elle y penetra rarement. Car jamais elle n'a explicitement
et methodiquement etabli, comme les modernes dialecticiens du
pantheisme, que ses distinctions logiques fussent des choses existantes
ou les apparences successives de l'etre identique universel.
Voila ce que nous aurions a dire sur cette theorie consideree
ontologiquement; mais remise a sa place, c'est-a-dire reportee dans la
controverse des universaux, elle a pour but principal d'etablir que la
difference n'est ni espece, ni accident, ni essence predicamentale,
c'est-a-dire relevant d'aucun predicament: elle est la
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