conscience que ce mot si court qu'il venait de
lancer apres l'avoir tant de fois retenu, "pourquoi," allait decider le
bonheur, l'honneur, peut-etre meme la vie de sa fille.
Et, de son cote, le capitaine sentait que son amour, que son bonheur
etaient en jeu, dependant de la reponse qu'il allait faire.
--J'ai peu de temps a moi pour les etudes serieuses qui ne se rapportent
pas directement a mon metier, dit-il apres une longue hesitation.
--Ces volumes de poesie, ces romans?
--Ces lectures sont un delassement, non un travail.
M. de la Roche-Odon comprit que le capitaine cherchait a ne pas
repondre, et il eprouva un moment d'hesitation.
Mais il etait trop engage maintenant, trop avance pour reculer.
--Le travail, c'est ce qui nous ennuie, n'est-ce pas? dit-il en
souriant.
--Oh! certes non! en tous cas, pas pour moi; ainsi, je vous assure que
les choses de mon metier me plaisent et que je les aime; neanmoins,
quand je m'en occupe, elles sont un travail pour moi, et elles en sont
si bien un que je ne suis plus en disposition d'en accepter un autre
quand je les abandonne; c'est ce qui explique la presence de ces livres
dans mon cabinet; ils remplacent pour moi les distractions du cercle ou
du cafe.
Le capitaine etait decide a ne pas repondre; mais, de son cote, le comte
etait decide aussi a aller jusqu'au bout de son interrogatoire.
Alors quittant le ton degage qui d'ailleurs ne convenait ni a son age ni
a son caractere, il redevint lui-meme:
--Mon cher capitaine, dit-il d'une voix grave, vous savez quelle est
mon estime pour vous, quelle est mon amitie, si vous ne les avez pas
devinees je tiens a vous affirmer qu'elles sont grandes, tres-grandes,
plus je vous vois, plus je m'attache a vous, et bien souvent j'ai
regrette que vous ne soyez pas mon fils.
Le capitaine se sentit perdu; il balbutia quelques paroles de
remerciement.
--Je pense, j'espere que de votre cote, vous ressentez pour moi
quelques-uns des sentiments que j'eprouve pour vous, continua M. de la
Roche-Odon, et, si je m'en rapporte a nos relations, il est bien certain
qu'il existe entre nous une reelle sympathie, non-seulement de coeur,
mais encore d'esprit. Cependant il y a un point sur lequel nous ne nous
sommes jamais expliques. Je veux parler de nos idees religieuses. Quand
je dis que nous ne nous sommes pas expliques, c'est une mauvaise facon
de m'exprimer, car il n'est pas necessaire que je vous fasse une
profession de foi pour
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