te le faire. Si je prenais le temps de la reflexion,
peut-etre que ma patience et ma resignation habituelles m'entraineraient
encore au silence, et peut-etre faut-il parler sous le coup de
l'emotion.
--Prenez garde! dit Obernay en s'asseyant aupres de lui. Si vous
regrettiez ce que vous allez faire? si, apres m'avoir pris pour
confident, vous aviez moins d'amitie pour moi?
--Je ne suis pas fantasque, et je ne crains pas cela, repondit Valvedre
en parlant avec une nettete de prononciation qui semblait destinee a ne
me laisser rien perdre de son discours. Tu es mon fils et mon frere,
Henri Obernay! l'enfant dont j'ai cheri et cultive le developpement,
l'homme a qui j'ai confie et donne ma soeur bien-aimee. Ce que j'ai a te
dire apres des annees de mutisme te sera utile a present, car c'est
l'histoire de mon mariage que je te veux confier; tu pourras comparer
nos existences et conclure sur le mariage et sur l'amour en connaissance
de cause. Paule sera plus heureuse encore par toi quand tu sauras
combien une femme sans direction intellectuelle et sans frein moral peut
etre a plaindre et rendre malheureux l'homme qui s'est devoue a elle.
D'ailleurs, j'ai besoin de parler de moi une fois en ma vie! j'ai pour
principe, il est vrai, que l'emotion refoulee est plus digne d'un homme
de courage; mais tu sais que je ne suis pas pour les decisions sans
appel, pour les regles sans exception. Je crois qu'a un jour donne, il
faut ouvrir la porte a la douleur, afin qu'elle vienne plaider sa cause
devant le tribunal de la conscience. J'ai fini mon preambule. Ecoute.
--J'ecoute, dit Obernay, j'ecoute avec mon coeur, qui vous appartient.
Valvedre parla ainsi:
--Alida etait belle et intelligente, mais absolument privee de direction
serieuse et de convictions acquises. Cela eut du m'effrayer. J'etais
deja un homme mur a vingt-huit ans, et, si j'ai cru a la douceur
ineffable de son regard, si j'ai eu l'orgueil de me persuader qu'elle
accepterait mes idees, mes croyances, ma religion philosophique, c'est
qu'a un jour donne j'ai ete temeraire, enivre par l'amour, domine a mon
insu par cette force terrible qui a ete mise dans la nature pour tout
creer ou tout briser en vue de l'equilibre universel.
"Il a su ce qu'il faisait, lui, l'_ auteur du bien_, quand il a jete sur
les principes engourdis de la vie ce feu devorant qui l'exalte pour la
rendre feconde; mais, comme le caractere de la puissance infinie est
l'effusion sans bornes, c
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