comme la petite Rosa!
Et puis je me rappelais confusement mon jeune age et les soins que
j'avais eus pour Adelaide enfant. Il me semblait la revoir avec ses
cheveux bruns et ses grands yeux tranquilles, nature active et douce,
jamais bruyante, deja polie et facile a egayer, sans etre importune
quand on ne s'occupait pas d'elle. Je croyais, dans ce mirage du passe,
entendre ma mere s'ecrier: "Quelle sage et belle fille! Je voudrais
qu'elle fut a moi!" et madame Obernay lui repondre: "Qui sait? Cela
pourrait bien se faire un jour!"
Et le jour ou cela aurait pu etre en effet, le jour ou j'aurais pu
conduire dans les bras de ma mere cette creature accomplie, orgueil
d'une ville et joie d'une famille, ideal d'un poete a coup sur, le poete
indecis et chagrin, sterile et mecontent de lui-meme, s'efforcait de la
rabaisser et se defendait mal de l'envie!
Ces etrangetes un peu monstrueuses de ma situation morale n'etaient que
trop motivees par l'oisivete de ma raison et l'activite maladive de ma
fantaisie. Quand j'eus brule mon manuscrit, je crus pouvoir le
recommencer a ma satisfaction nouvelle, et il n'en fut rien. J'etais
attire sans cesse vers ce jardin ou le secret de ma vie s'agitait
peut-etre a deux pas de moi sans que je voulusse le connaitre. Quand je
sentais approcher Valvedre ou l'une de ses soeurs avec M. Obernay ou
avec Henri, je croyais toujours entendre prononcer mon nom. Je pretais
l'oreille malgre moi, et, quand je m'etais assure qu'il n'etait
nullement question de moi, je m'eloignais sans m'apercevoir de
l'inconsequence de ma conduite.
Tout semblait paisible chez eux; Alida ne s'approchait jamais du mur,
tant elle craignait de provoquer une imprudence de ma part ou d'attirer
les soupcons en se reconciliant avec cet endroit qu'elle avait proscrit
comme trop expose au soleil. J'entendais souvent les jeux bruyants de
ses fils et la voix posee des vieux parents qui encourageait ou moderait
leur impetuosite. Alida caressait tendrement l'aine, mais ne causait
jamais ni avec l'un ni avec l'autre.
Sans pouvoir la suivre des yeux, car le devant de la maison etait masque
par des massifs d'arbustes, je sentais l'isolement de sa vie dans cet
interieur si assidument et saintement occupe. Je l'apercevais
quelquefois, lisant un roman ou un poeme entre deux caisses de myrte, ou
bien, de ma fenetre, je la voyais a la sienne, regardant de mon cote et
pliant une lettre qu'elle avait ecrite pour moi. Elle etait etrangere,
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