r madame Dammauville et cela la
nuit seulement, spectre de l'ombre que le jour dissipait?
Croyant que l'une des causes de cette excitabilite du cerveau pouvait
bien etre le travail d'esprit qu'il lui imposait a doses excessives,
a l'heure precisement ou il aurait fallu ne pas prolonger cette
excitabilite et, au contraire, l'engourdir, il avait decide de changer
un systeme lui ayant si mal reussi: au lieu d'un travail intellectuel,
il se livrerait a un travail materiel, qui, par l'epuisement des
fonctions musculaires, lui procurerait le sommeil des pauvres gens qui
ont peine toute la journee, manoeuvres ou terrassiers, charretiers ou
bucherons, et comme il ne pouvait pas rouler la brouette ou fendre le
bois, il s'etait mis, tous les soirs apres son diner, a marcher droit
devant lui au pas accelere, faisant ses sept ou huit lieues avant de
rentrer: il aurait bien raison, a coup sur, de ce cerveau retif.
Le travail corporel n'avait pas mieux reussi que le travail spirituel;
il avait pu se donner la fatigue des terrassiers et des bucherons, non
leur sommeil. Se mettant au lit les jambes brisees, les pieds endoloris,
affaisse par sa longue marche precipitee, il avait les memes reveils
sursautes, les memes reves douloureux qui l'affolaient et l'epuisaient.
Decidement la fatigue du corps ne valait pas mieux que celle du cerveau.
Et meme elle valait moins. Devant sa table, plonge dans ses livres, ou
dans son laboratoire courbe sur son microscope, il s'absorbait dans la
tache entreprise et, par la force d'une volonte longuement exercee et
soumise a l'obeissance, il parvenait a maintenir sa pensee appliquee sur
le sujet impose, sans distraction comme sans reveries; le temps passait.
Mais quand il marchait par les rues de Paris, sur les routes desertes de
la banlieue, a travers les champs ou dans les bois, le long de la Seine
ou de la Marne, sa pensee libre courait ou elle voulait; il ne lui
commandait pas; elle etait la maitresse, et toujours elle le ramenait
a madame Dammauville, a Caffie, a Florentin: il semblait que
l'echauffement de la marche mettait en pression son cerveau comme la
chaudiere d'une machine, qui alors l'entrainait, sans frein possible,
sans direction, vertigineusement. Quand il rentrait en cet etat, apres
plusieurs heures de cette excitabilite cerebrale, comment eut-il trouve
le sommeil tranquille et reparateur, complet et profond, des pauvres
gens qui n'ont fait travailler que leurs muscles?
N'ayant jama
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