graduellement augmentees. Au bout d'un certain temps, ce qu'il devait
craindre et ce qu'il craignait s'etait realise: sa maigreur avait
augmente; il avait perdu l'appetit, la force musculaire en meme
temps que l'energie morale; son visage pale avait commence a prendre
l'expression si caracteristique des morphinomanes.
Alors il s'etait arrete epouvante.
Qu'il continuat, il devenait, en effet, un morphinomane dans un temps
donne, et l'apathie dans laquelle il tombait l'empechait de resister au
besoin d'absorber de nouvelles doses de poison, besoin aussi imperieux,
aussi irresistible dans le morphinisme que l'est celui de l'alcool
pour l'alcoolique, et plus terrible par ses effets: la perversion des
facultes intellectuelles, la perte de la volonte, de la memoire, du
jugement, la paralysie ou la manie qui conduit au suicide.
Qu'il ne continuat point, et ces nuits sans sommeil ou ces sommeils
agites qui l'avaient affole reprenaient, et a la suite revenait cette
surexcitabilite du cerveau qui, en troublant la nutrition de la masse
encephalique, pouvait etre le prelude de quelque affection cerebrale
grave.
D'un cote, la manie par le morphinisme; de l'autre, la demence par
l'excitabilite constante et desordonnee du cerveau: voila ce qui
l'attendait.
Entre un resultat fatalement certain et un qui n'etait que possible, il
n'avait pas a hesiter: il fallait renoncer a la morphine; et ce choix
s'imposait avec d'autant plus de force que, si la morphine assurait a
peu pres le sommeil des nuits, elle ne donnait nullement la tranquillite
des jours,--au contraire.
Quand il avait commence a user de ce remede, c'etait seulement pendant
la nuit qu'il tombait sous l'influence de certaines idees; le jour, en
s'appliquant au travail et en maintenant par un effort de volonte son
application tendue, il echappait a ces idees: il etait l'homme qu'il
avait toujours ete, maitre de sa force et de sa pensee. Mais l'action
de la morphine n'avait pas tarde a affaiblir cette volonte jusque-la
toute-puissante, si bien que, quand ces idees avaient durant le jour
traverse son travail, il n'avait plus eu l'energie necessaire pour les
chasser. Il essayait de les secouer: c'etait vainement; elles ne se
laissaient point detacher de son cerveau, auquel elles se collaient et
qu'elles envahissaient avec une expansion foisonnante.
C'est qu'en verite ces deux cadavres le genaient horriblement.
N'etait-ce pas exasperant, pour un homme qui en avait tant
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