erielle, pas plus qu'a ma resolution de vous
fuir. Rien ne peut plus nous reunir jamais; rien ne nous reunira, aucune
consideration, aucune necessite. Je repousse le passe, ce passe coupable
dont la responsabilite pese si lourdement sur ma conscience, et je
voudrais perdre la memoire d'un temps deteste. Il me serait impossible
d'accepter la lutte, ni des supplications s'il vous convenait d'en
faire. J'ai tranche nos liens, et nous serons desormais aussi loin l'un
de l'autre que si l'un de nous etait mort, plus loin encore. N'ayez
donc aucun scrupule a me laisser seule en face d'une nouvelle vie, d'un
recommencement qui peut paraitre difficile et penible a quiconque
n'est pas a ma place. Les epreuves d'autrefois m'auront ete bonnes,
puisqu'elles m'ont aguerrie aux difficultes du travail; la desolation
d'aujourd'hui me soutiendra, en ce sens que, ayant souffert tout ce
qu'on peut souffrir, je n'ai plus a craindre quelque catastrophe
decourageante qui m'arreterait dans mes resolutions. Pour ne pas vous
compromettre et redevenir mieux moi-meme, je reprendrai mon nom de
famille,--nom deshonore, mais que je porterai sans honte. Je vivrai
obscurement, absorbee par le travail et m'appliquant a oublier jusqu'a
votre existence: faites de meme. Vous trouverez peut-etre que je suis
dure, si vous songez au passe; cependant ce n'est pas une desertion
egoiste que ce depart; je ne vous suis plus bonne a rien, et le repos
dont vous avez besoin vous fuirait desormais pres de moi. Au contraire,
cherchez l'oubli comme je vais le chercher moi-meme. Si vous parvenez
a effacer de votre vie le temps pendant lequel je l'ai traversee, vous
arriverez peut-etre a eloigner le reste et a reconquerir un peu du calme
d'autrefois. Je ne peux plus me rappeler que je vous ai aime, car ma
situation a cela de particulier que je ne garde meme pas le refuge du
souvenir; a mon age, il faut que je reste sans passe comme sans avenir;
ce qui fait la consolation des malheureux me manque avec tout. Je ne
puis pas sortir de mon accablement pour essayer de retrouver une heure
ou la vie se soit montree douce pour moi; ces heures-la, au contraire,
me font fremir et je me les reproche comme un crime. Ainsi, de quelque
cote que je me retourne, je ne trouve que la douleur et les regrets
poignants; tout est fletri, deshonore pour moi."
Il avait lu cette lettre ecrite d'un trait, d'une seule poussee, debout
au milieu de son cabinet; arrive a la fin, vaguement il regarda au
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