son ambition
poursuivait, il l'avait conquise; l'argent necessaire a ses besoins, il
le gagnait; ses experiences avaient donne des resultats plus beaux que
ceux qu'il pouvait esperer, il en convenait lui-meme; les etudes qu'il
venait de publier sur ces experiences etaient vivement discutees, louees
par les uns, contestees par les autres; il semblait qu'il eut atteint
son but, et il etait chagrin, mecontent, malheureux, plus tourmente
qu'alors qu'il s'epuisait en efforts, sans autre soutien que sa volonte.
Enfin quand, effrayee de le voir ainsi, elle l'interrogeait sur ce qu'il
eprouvait, il se fachait et lui repondait brutalement:
--Malade? Pourquoi veux-tu que je sois malade? Ne suis-je pas plus en
etat que personne de savoir ce que j'ai? Je me suis surmene, voila tout;
et, comme ma vie de privations ne me permettait pas de reparer mes
forces, je suis arrive a l'anemie; ce n'est pas bien grave, il me
semble. Il est etrange vraiment que tu ailles chercher des explications
extraordinaires a ce qui est naturel et en quelque sorte oblige: compte
les dents des polytechniciens et regarde leurs cheveux apres leurs
examens, tu me diras ce que tu en penses. Pourquoi veux-tu qu'il en soit
autrement de moi? On ne se depense pas impunement, ce serait trop beau;
tout se paye en ce monde. Il n'y a que les bourgeois qui gagnent leur
fortune en tapant des cartes ou des dominos sur des tables de cafe et en
faisant rouler des billes de billard; ce qui leur permet d'etre aimables
et bien entripailles.
Elle devait croire qu'il avait raison et voyait clair dans son etat;
pourtant elle ne pouvait pas ne pas se tourmenter. Elle ne connaissait
rien a la medecine, ne savait pas ce que c'etait que le surmenage et
l'anemie qui en resultait, cependant elle trouvait que cette anemie ne
suffisait pas pour tout expliquer, pas plus ses brusqueries d'humeur et
ses acces de colere a propos de rien, que ses elans de tendresse, ses
defaillances et ses abattements, ses preoccupations et ses absences.
Par cela meme qu'elle l'observait de pres, elle avait tres bien remarque
l'effet qu'elle produisait sur lui, et comment, par sa seule presence,
elle egayait cette humeur sombre et relevait cet accablement a la seule
condition de ne pas lui adresser des questions maladroites sur certains
sujets qu'elle n'etait pas encore arrivee a determiner, mais qu'elle
esperait bien eviter. Aussi aurait-elle voulu ne pas le quitter et
s'ingeniait-elle a faire naitre d
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