etre honorable;
qu'elle eut du talent, il en serait heureux, meme glorieux; qu'elle
vendit ses tableaux, ce serait une originalite qui ferait parler d'elle
dans le monde.
Le salon avait ete en partie transforme en atelier et elle avait essaye
quelques petits tableaux qui, pour n'avoir aucune pretention au grand
art, etaient cependant agreables, faciles, enleves avec un chic brillant
qui plaisait. Glorient, a qui elle les avait montres, les avait trouves
"gentils comme tout", et il en avait fait acheter deux par son marchand,
qui en avait commande d'autres, a un prix doux, il est vrai, tres doux
meme, mais enfin, pour elle, beaucoup au-dessus de ce qu'elle attendait.
Avec le courage et la constance que les femmes apportent a ce qui
leur plait, elle eut volontiers travaille du matin au soir; mais les
relations que Saniel s'etait creees ne lui en laissaient pas la liberte.
Par cela seul qu'il etait assidu chez Claudet, on l'avait invite
ailleurs, et comme au lieu de se derober a ces invitations il les avait
recherchees, il en etait resulte pour elle des obligations mondaines qui
lui devoraient son temps; tous les jours elle avait une ou plusieurs
visites a faire: elle devait aller aux enterrements, aux mariages, se
montrer aux ventes de charite; elle-meme avait son jour, et pendant
trois heures il lui fallait ecouter des papotages feminins sans interet
pour elle.
Et lui, quel plaisir pouvait-il prendre a endosser un habit, quand il
etait las apres une journee bien employee, pour s'en aller dans un
salon, lui fils de paysan, reste paysan par tant de cotes, lui qui
autrefois ne comprenait rien a la vie mondaine et n'avait pour elle que
du mepris, la trouvant aussi ennuyeuse que ridicule.
Elle avait cherche a deviner la cause de ce changement, et quand, avec
adresse, avec legerete, d'une facon detournee, elle l'avait amene a
s'expliquer la-dessus, elle n'en avait tire qu'une reponse, qui pour
elle n'en etait pas une:
--Il faut etre du monde.
Pourquoi donc tenait-il tant a etre du monde? etait-ce pour elle, parce
qu'elle etait la soeur d'un forcat, qu'il voulait l'imposer partout et
la faire admettre la tete haute? Cela, elle l'eut jusqu'a un certain
point compris, bien que ce role qu'il lui faisait jouer fut le plus
cruel qu'on put lui donner, et precisement le contraire de celui qu'elle
aurait pris si elle avait ete libre.
Mais il n'y avait pas que cela dans ce besoin d'etre du monde. Lui, pour
l'avoir epouse
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