e ne croyais pas pouvoir eprouver
encore. Mais la reflexion doit nous faire revenir en arriere. Vous etes
jeune, je ne le suis plus, et mon age me fait un devoir de ne pas ceder
a l'entrainement. Nous sommes des malheureux, vous le savez mieux que
personne; des parias ecrases. Vous, vous etes un heureux de ce monde;
bientot vous serez un riche, un glorieux; est-il sage que vous
embarrassiez votre vie d'une femme qui est dans la position de ma fille?
A quelques mots pres, c'etait la reponse de Philis, il fit a la mere
celle qu'il avait faite a la fille.
Ce n'est pas pour vous que je parle, continua madame Cormier; je ne
me permettrais pas de vous donner des conseils; c'est en me placant
seulement au point de vue de ma fille, au mien, sa mere, qui dois avec
l'experience de mon age, veiller a son avenir. Est-il certain que dans
les luttes de la vie vous n'aurez jamais a souffrir de ce mariage, non
parce que ma fille ne vous rendra pas heureux,--de ce cote, je suis
tranquille,--mais parce que la situation que la fatalite nous a faite
vous pesera et vous entravera? Je connais ma fille, sa delicatesse, sa
susceptibilite inquiete,--celle des malheureux,--sa fierte: celle des
irreprochables; ce serait la pour elle une blessure qui ferait succeder
le malheur au bonheur, car elle ne supporterait pas le mepris.
--Si cela est dans la nature humaine, ce n'est pas dans la mienne; je
vous en donne ma parole.
--Vous pensez bien que je ne demande qu'a vous croire; je n'ai parle
ainsi que parce que je le devais.
Elle revint et d'un bond, a la joie de ce mariage: c'etait donc
vrai qu'il y avait des hommes, en ce monde, assez clairvoyants pour
reconnaitre les qualites d'une fille pauvre et ne lui demander que ces
qualites?
Il expliqua comment il entendait organiser leur vie et, quand elle
comprit qu'elle avait sa place entre eux, elle s'ecria en joignant les
mains:
--Oh! mon Dieu, qui m'avez pris mon fils, que vous etes bon de m'en
rendre un!
IV
Il ne demandait pas mieux que d'etre un fils pour cette pauvre femme; en
realite il vaudrait bien ce malheureux garcon, mou et incapable. Que
lui fallait-il, a cette affamee de maternite? Un fils a aimer. Elle
le trouverait dans son gendre. En voyant sa fille heureuse, comment,
pourquoi ne serait-elle pas heureuse elle-meme?
Il pouvait se dire que personne n'etait moins que lui dispose a
l'infatuation; aussi n'etait-ce que justice de reconnaitre qu'il
reparait dans la me
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