u'elle ne le quittat point.
Mais, si heureuse qu'elle fut, dans sa douleur, de voir qu'au lieu de
s'eloigner d'elle--ce qu'un autre moins genereux eut fait peut-etre--il
cherchait a s'en rapprocher chaque jour davantage, elle ne pouvait pas
abandonner ses lecons et son travail, qui etaient leur vie meme, pour
donner tout son temps a son amour, pas plus qu'elle ne pouvait laisser
toujours seule sa mere accablee de chagrin, qui jamais autant que
maintenant n'avait eu besoin d'etre relevee et soutenue.
Elle ne passait pas un jour sans venir le voir; mais, malgre l'envie
qu'elle en avait, elle ne pouvait pas rester avec lui aussi longtemps
qu'elle aurait voulu et que lui-meme demandait. Quand elle se levait
pour partir et qu'il la retenait, elle ne partait point, mais ce
n'etaient jamais que quelques minutes de gagnees: elles etaient courtes,
et bientot arrivait l'heure ou, apres s'y etre reprise dix fois, il
fallait qu'elle le quittat.
En tout temps, ces separations avaient ete pour elle des desespoirs,
dont l'apprehension des le moment de l'arrivee la paralysait; mais
maintenant elles lui etaient plus cruelles encore. Autrefois, quand elle
le quittait, elle le voyait bien souvent deja plonge dans son travail
avant qu'elle eut tire la porte; maintenant, au contraire, il la
conduisait dans le vestibule, la retenait, ne la laissait descendre
l'escalier que quand elle s'etait arrachee a son etreinte, apres qu'elle
lui avait promis et repete de venir le lendemain de bonne heure, et de
rester plus longtemps avec lui. Autrefois aussi, elle etait tranquille
lorsqu'elle s'eloignait, n'ayant pas a se preoccuper de sa sante, ni a
se demander comment elle le retrouverait: solide et vaillant comme a
l'ordinaire, aussi sain de corps que d'esprit, cela etait certain. Au
contraire, maintenant elle avait l'inquietude de chercher a prevoir,
chaque fois qu'elle arrivait, comment il serait: la tristesse, la
melancolie, l'abattement persisteraient-ils encore ce jour-la; son
amaigrissement, sa paleur auraient-ils augmente? C'etait son souci, son
angoisse de tacher de deviner les causes des changements qui s'etaient
faits en lui, et qui se traduisaient si manifestement en tout, dans
ses sentiments comme dans sa personne. N'etait-ce pas extraordinaire
vraiment qu'il fut plus sombre ou plus inquiet, maintenant que sa vie
etait assuree, qu'au temps si dur ou elle etait menacee sans qu'il
sut jamais ce que serait son lendemain? La position que
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