vu et depece,
qu'il n'y en eut que deux qui fussent toujours devant ses yeux, meme
fermes,--celui de ce vieux coquin et celui de cette malheureuse femme?
Pour ne pas compliquer cette impression d'une autre qui l'humiliait, il
s'etait debarrasse des liasses de billets de banque pris chez Caffie en
les envoyant "comme restitution" au directeur de l'Assistance publique;
mais cela avait ete sans effet appreciable.
La pensee aussi de Florentin l'obsedait, et, s'il voyait Caffie affaisse
dans son fauteuil inonde de sang, madame Dammauville immobile et rose
sur son lit, il ne lui etait pas moins cruel de voir Florentin
dans l'entrepont du transport qui bientot allait l'emporter a la
Nouvelle-Caledonie.
Les idees qu'il avait emises chez Crozat sur la conscience, et celles
qu'il avait expliquees a Philis, a propos du remords, etaient toujours
les siennes; mais, enfin, il n'en etait pas moins certain que ces deux
morts et ce condamne pesaient d'un poids terriblement lourd sur lui,
effrayants, etouffants comme l'ephialte du cauchemar: ce n'etait ni de
son education ni de son milieu d'avoir ces cadavres derriere soi et,
devant, cette victime.
Mais ou ses idees d'autrefois avaient ete bouleversees, depuis que ces
morts avaient saisi sa vie, c'etait dans sa confiance en sa force.
L'homme fort qu'il s'etait cru, celui qui marche droit a son but, sans
souci de rien ni de personne, ne regardant que devant soi et jamais
derriere, maitre de son esprit comme de son coeur et de son bras,
n'etait pas du tout celui qu'avait revele la realite.
Faible, au contraire, il avait ete dans l'action, et plus faible encore
apres.
Et ce n'etait pas seulement une humiliation dans le present qu'il
eprouvait a reconnaitre cette faiblesse, c'etait aussi une inquietude
pour l'avenir: car, s'il n'avait pas cette force qu'il s'etait attribuee
avant d'en avoir eprouve la puissance, il devait, si ses croyances
etaient vraies, succomber un jour avec les faibles.
Evidemment, s'il avait ete tout a fait fort, il n'aurait pas complique
sa vie d'un amour: les forts vont seuls, parce qu'ils n'ont besoin de
personne; et lui avait besoin d'une femme, si grand besoin que c'etait
par elle seule, pres d'elle, quand il la regardait, quand il l'ecoutait,
qu'il eprouvait un peu de calme.
Pour cela, etait-il donc faible et lache? Non peut-etre; mais simplement
humain.
II
Precisement parce qu'il eprouvait du calme aupres de Philis, Saniel eut
voulu q
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