n petit mouvement. Je
me suis trompe.
--Ca mordra, Frantz, repondait Suzel de sa voix pure et douce. Mais
n'oubliez pas de "ferrer" a temps. Vous etes toujours en retard de
quelques secondes, et le barbillon en profite pour s'echapper.
--Voulez-vous prendre ma ligne, Suzel?
--Volontiers, Frantz.
--Alors donnez-moi votre canevas, nous verrons si je serai plus adroit a
l'aiguille qu'a l'hamecon."
Et la jeune fille prenait la ligne d'une main tremblante, et le jeune
homme faisait courir l'aiguille a travers les mailles de la tapisserie.
Et pendant des heures ils echangeaient ainsi de douces paroles, et leurs
coeurs palpitaient lorsque le liege fremissait sur l'eau. Ah!
puissent-ils ne jamais oublier ces heures charmantes, pendant
lesquelles, assis l'un pres de l'autre, ils ecoutaient le murmure de la
riviere.
Ce jour-la, le soleil etait deja tres-abaisse sur l'horizon, et, malgre
les talents combines de Suzel et de Frantz, "ca n'avait pas mordu". Les
barbillons ne s'etaient point montres compatissants, et ils riaient des
jeunes gens qui etaient trop justes pour leur en vouloir.
"Nous serons plus heureux une autre fois, Frantz, dit Suzel, quand le
jeune pecheur repiqua son hamecon toujours vierge sur sa planchette de
sapin.
--Il faut l'esperer, Suzel," repondit Frantz.
Puis, tous deux, marchant l'un pres de l'autre reprirent le chemin de la
maison, sans echanger une parole, aussi muets que leurs ombres, qui
s'allongeaient devant eux. Suzel se voyait grande, grande, sous les
rayons obliques du soleil couchant. Frantz paraissait maigre, maigre,
comme la longue ligne qu'il tenait a la main.
On arriva a la maison du bourgmestre. De vertes touffes d'herbe
encadraient les paves luisants, et on se fut bien garde de les arracher,
car elles capitonnaient la rue et assourdissaient le bruit des pas.
Au moment ou la porte allait s'ouvrir, Frantz crut devoir dire a sa
fiancee:
"Vous savez, Suzel, le grand jour approche.
--Il approche, en effet, Frantz! repondit la jeune fille en abaissant
ses longues paupieres.
--Oui, dit Frantz, dans cinq ou six ans....
--Au revoir, Frantz, dit Suzel.
--Au revoir, Suzel," repondit Frantz.
Et, apres que la porte se fut refermee, le jeune homme reprit d'un pas
egal et tranquille le chemin de la maison du conseiller Niklausse.
VII
Ou les _andante_ deviennent des _allegro_ et les _allegro_ des _vivace_.
L'emotion causee par l'incident de l'avocat Schut
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