ables exces de nourriture et de boisson. Leur
regime ordinaire ne suffisait plus. Chaque estomac se transformait en
gouffre, et ce gouffre, il fallait bien le combler par les moyens les
plus energiques. La consommation de la ville fut triplee. Au lieu de
deux repas, on en faisait six. On signala de nombreuses indigestions. Le
conseiller Niklausse ne pouvait assouvir sa faim. Le bourgmestre van
Tricasse ne pouvait combler sa soif, et il ne sortait plus d'une sorte
de demi-ebriete rageuse.
Enfin les symptomes les plus alarmants se manifesterent et se
multiplierent de jour en jour.
On rencontra des gens ivres, et, parmi ces gens ivres, souvent des
notables.
Les gastralgies donnerent une occupation enorme au medecin Dominique
Custos, ainsi que les nevrites et les nevrophlogoses, ce qui prouvait
bien a quel degre d'irritabilite etaient etrangement montes les nerfs de
la population.
Il y eut des querelles, des altercations quotidiennes dans les rues
autrefois si desertes de Quiquendone, aujourd'hui si frequentees, car
personne ne pouvait plus rester chez soi.
Il fallut creer une police nouvelle pour contenir les perturbateurs de
l'ordre public.
Un violon fut installe dans la maison commune, et il se peupla jour et
nuit de recalcitrants. Le commissaire Passauf etait sur les dents.
Un mariage fut conclu en moins de deux mois,--ce qui ne s'etait jamais
vu. Oui! le fils du percepteur Rupp epousa la fille de la belle
Augustine de Rovere, et cela cinquante-sept jours seulement apres avoir
fait la demande de sa main!
D'autres mariages furent decides qui, en d'autres temps, fussent restes
a l'etat de projet pendant des annees entieres. Le bourgmestre n'en
revenait pas, et il sentait sa fille, la charmante Suzel, lui echapper
des mains.
Quant a la chere Tatanemance, elle avait ose pressentir le commissaire
Passauf, au sujet d'une union qui lui semblait reunir tous les elements
de bonheur, fortune, honorabilite, jeunesse!...
Enfin--pour comble d'abomination--un duel eut lieu! Oui, un duel au
pistolet, aux pistolets d'arcons, a soixante-quinze pas, a balles
libres! Et entre qui? Nos lecteurs ne voudront pas le croire.
Entre M. Frantz Niklausse, le doux pecheur a la ligne, et le fils de
l'opulent banquier, le jeune Simon Collaert.
Et la cause de ce duel, c'etait la propre fille du bourgmestre, pour
laquelle Simon se sentait feru d'amour, et qu'il ne voulait pas ceder
aux pretentions d'un audacieux rival!
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