bal du temps, car, a cette epoque, les magistrats
commencaient a savoir ecrire.
"Nous nous vengerons quand le moment en sera venu dit simplement Natalis
van Tricasse, le trente-deuxieme predecesseur du bourgmestre actuel, et
les Virgamenois ne perdront rien pour attendre!"
Les Virgamenois etaient prevenus. Ils attendirent, pensant, non sans
raison, que le souvenir de l'injure s'affaiblirait avec le temps; et en
effet, pendant plusieurs siecles, ils vecurent en bons termes avec leurs
semblables de Quiquendone.
Mais ils comptaient sans leurs hotes, ou plutot sans cette epidemie
etrange, qui, changeant radicalement le caractere de leurs voisins,
reveilla dans ces coeurs la vengeance endormie.
Ce fut au club de la rue Monstrelet que le bouillant avocat Schut,
jetant brusquement la question a la face de ses auditeurs, les passionna
en employant les expressions et les metaphores qui sont d'usage en ces
circonstances. Il rappela le delit, il rappela le tort commis a la
commune de Quiquendone, et pour lequel une nation "jalouse de ses
droits" ne pouvait admettre de prescription; il montra l'injure
toujours vivante, la plaie toujours saignante; il parla de certains
hochements de tete particuliers aux habitants de Virgamen, et qui
indiquaient en quel mepris ils tenaient les habitants de Quiquendone; il
supplia ses compatriotes, qui, "inconsciemment" peut-etre, avaient
supporte pendant de longs siecles cette mortelle injure; il adjura "les
enfants de la vieille cite" de ne plus avoir d'autre "objectif" que
d'obtenir une reparation eclatante! Enfin, il fit un appel a "toutes les
forces vives" de la nation!
Avec quel enthousiasme ces paroles, si nouvelles pour des oreilles
quiquendoniennes, furent accueillies, cela se sent, mais ne peut se
dire. Tous les auditeurs s'etaient leves, et, les bras tendus, ils
demandaient la guerre a grands cris. Jamais l'avocat Schut n'avait eu un
tel succes, et il faut avouer qu'il avait ete tres-beau.
Le bourgmestre, le conseiller, tous les notables qui assistaient a cette
memorable seance auraient inutilement voulu resister a l'elan populaire.
D'ailleurs, ils n'en avaient aucune envie, et sinon plus, du moins aussi
haut que les autres, ils criaient:
"A la frontiere! A la frontiere!"
Or, comme la frontiere n'etait qu'a trois kilometres des murs de
Quiquendone, il est certain que les Virgamenois couraient un veritable
danger, car ils pouvaient etre envahis avant d'avoir eu le temps de
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