eux presque oublies de son pere,
dont la memoire semblait deroutee, et celui-ci eprouvait un plaisir
d'enfant a apprendre toutes ces choses, dont le souvenir s'etait egare
dans sa tete. Maitre Zacharius s'appuyait sur sa fille, et ces deux
chevelures, blanche et blonde, se confondaient dans le meme rayon de
soleil.
Il arriva aussi que le vieil horloger s'apercut enfin qu'il n'etait pas
seul en ce monde. En voyant sa fille jeune et belle, lui vieux et brise,
il songea qu'apres sa mort elle resterait seule, sans appui, et il
regarda autour de lui et autour d'elle. Bien des jeunes ouvriers de
Geneve avaient deja courtise Gerande; mais aucun n'avait eu acces dans
la retraite impenetrable ou vivait la famille de l'horloger. Il fut donc
tout naturel que, pendant cette eclaircie de son cerveau, le choix du
vieillard s'arretat sur Aubert Thuen. Une fois lance sur cette pensee, il
remarqua que ces deux jeunes gens avaient ete eleves dans les memes
idees et les memes croyances, et les oscillations de leur coeur lui
parurent "isochrones", comme il le dit un jour a Scholastique.
La vieille servante, litteralement enchantee du mot, bien qu'elle ne le
comprit pas, jura par sa sainte patronne que la ville entiere le saurait
avant un quart d'heure. Maitre Zacharius eut grand'peine a la calmer, et
obtint d'elle enfin de garder sur cette communication un silence qu'elle
ne tint jamais.
Si bien qu'a l'insu de Gerande et d'Aubert, on causait deja dans tout
Geneve de leur union prochaine. Mais il advint aussi que, pendant ces
conversations, on entendait souvent un ricanement singulier et une voix
qui disait:
"Gerande n'epousera pas Aubert."
Si les causeurs se retournaient, ils se trouvaient en face d'un petit
vieillard qu'ils ne connaissaient pas.
Quel age avait cet etre singulier? Personne n'eut pu le dire! On
devinait qu'il devait exister depuis un grand nombre de siecles, mais
voila tout. Sa grosse tete ecrasee reposait sur des epaules dont la
largeur egalait la hauteur de son corps, qui ne depassait pas trois
pieds. Ce personnage eut fait bonne figure sur un support de pendule,
car le cadran se fut naturellement place sur sa face, et le balancier
aurait oscille a son aise dans sa poitrine. On eut volontiers pris son
nez pour le style d'un cadran solaire, tant il etait mince et aigu; ses
dents, ecartees et a surface epicycloique, ressemblaient aux engrenages
d'une roue et grincaient entre ses levres; sa voix avait le son
me
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