voila tout.
--La connaissez-vous, Aubert?
--Peut-etre, Gerande.
--Racontez-nous cela, s'ecria vivement Scholastique, en eteignant
parcimonieusement son cierge.
--Depuis plusieurs jours, Gerande, dit le jeune ouvrier, il se passe un
fait absolument incomprehensible. Toutes les montres que votre pere a
faites et vendues depuis quelques annees s'arretent subitement. On lui
en a rapporte un grand nombre. Il les a demontees avec soin; les
ressorts etaient en bon etat et les rouages parfaitement etablis. Il les
a remontees avec plus de soin encore; mais, en depit de son habilete,
elles n'ont plus marche.
--Il y a du diable la-dessous! s'ecria Scholastique.
--Que veux-tu dire? demanda Gerande. Ce fait me semble naturel. Tout
est borne sur terre, et l'infini ne peut sortir de la main des hommes.
--Il n'en est pas moins vrai, repondit Aubert, qu'il y a en cela quelque
chose d'extraordinaire et de mysterieux. J'ai aide moi-meme maitre
Zacharius a rechercher la cause de ce derangement de ses montres, je
n'ai pu la trouver, et, plus d'une fois, desespere, les outils me sont
tombes des mains.
--Aussi, reprit Scholastique, pourquoi se livrer a tout ce travail de
reprouve? Est-il naturel qu'un petit instrument de cuivre puisse marcher
tout seul et marquer les heures? On aurait du s'en tenir au cadran
solaire!
--Vous ne parlerez plus ainsi, Scholastique, repondit Aubert, quand vous
saurez que le cadran solaire fut invente par Cain.
--Seigneur mon Dieu! que m'apprenez-vous la?
--Croyez-vous, reprit ingenument Gerande, que l'on puisse prier Dieu de
rendre la vie aux montres de mon pere?
--Sans aucun doute, repondit le jeune ouvrier.
--Bon! Voici des prieres inutiles, grommela la vieille servante, mais le
Ciel en pardonnera l'intention."
Le cierge fut rallume. Scholastique, Gerande et Aubert s'agenouillerent
sur les dalles de la chambre, et la jeune fille pria pour l'ame de sa
mere, pour la sanctification de la nuit, pour les voyageurs et les
prisonniers, pour les bons et les mechants, et surtout pour les
tristesses inconnues de son pere.
Puis, ces trois devotes personnes se releverent avec quelque confiance
au coeur, car elles avaient remis leur peine dans le sein de Dieu.
Aubert regagna sa chambre, Gerande s'assit toute pensive pres de sa
fenetre, pendant que les dernieres lueurs s'eteignaient dans la ville de
Geneve, et Scholastique, apres avoir verse un peu d'eau sur les tisons
embrases et pousse l
|