el, selon
les antiques usages, elle prenait part avec le jeune ouvrier. Bien que
des mets soigneusement appretes lui fussent offerts dans une belle
vaisselle bleue et blanche, maitre Zacharius ne mangea pas. Il repondit
a peine aux douces paroles de Gerande, que la taciturnite plus sombre de
son pere preoccupait visiblement, et le babillage de Scholastique
elle-meme ne frappa pas plus son oreille que ces grondements du fleuve
auxquels il ne prenait plus garde. Apres ce repas silencieux, le vieil
horloger quitta la table sans embrasser sa fille, sans donner a tous le
bonsoir accoutume. Il disparut par l'etroite porte qui conduisait a sa
retraite, et, sous ses pas pesants, l'escalier gemit avec de lourdes
plaintes.
Gerande, Aubert et Scholastique demeurerent quelques instants sans
parler. Ce soir-la, le temps etait sombre; les nuages se trainaient
lourdement le long des Alpes et menacaient de se fondre en pluie; la
severe temperature de la Suisse emplissait l'ame de tristesse, tandis
que les vents du midi rodaient aux alentours et jetaient de sinistres
sifflements.
"Savez-vous bien, ma chere demoiselle, dit enfin Scholastique, que notre
maitre est tout en dedans depuis quelques jours? Sainte Vierge! Je
comprends qu'il n'ait pas eu faim, car ses paroles lui sont restees dans
le ventre, et bien adroit serait le diable qui lui en tirerait
quelqu'une!
--Mon pere a quelque secret motif de chagrin que je ne puis meme pas
soupconner, repondit Gerande, tandis qu'une douloureuse inquietude
s'imprimait sur son visage.
--Mademoiselle, ne permettez pas a tant de tristesse d'envahir votre
coeur. Vous connaissez les singulieres habitudes de maitre Zacharius.
Qui peut lire sur son front ses pensees secretes? Quelque ennui sans
doute lui est survenu, mais demain il ne s'en souviendra pas et se
repentira vraiment d'avoir cause quelque peine a sa fille."
C'etait Aubert qui parlait de cette facon, en fixant ses regards sur les
beaux yeux de Gerande. Aubert, le seul ouvrier que maitre Zacharius eut
jamais admis a l'intimite de ses travaux, car il appreciait son
intelligence, sa discretion et sa grande bonte d'ame, Aubert s'etait
attache a Gerande avec cette foi mysterieuse qui preside aux devouements
heroiques.
Gerande avait dix-huit ans. L'ovale de son visage rappelait celui des
naives madones que la veneration suspend encore au coin des rues des
vieilles cites de Bretagne. Ses yeux respiraient une simplicite infinie.
On l'ai
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