ailleurs, le calme s'etait refait dans les
esprits, et, avec le calme, l'oubli des exces. Les journaux de la
localite eviterent meme d'en parler, et le compte rendu de la
representation, qui parut dans le _Memorial de Quiquendone_, ne fit
aucune allusion a cet enfievrement d'une salle tout entiere.
Et cependant, si la ville reprit son flegme habituel, si elle redevint,
en apparence, flamande comme devant, au fond, on sentait que le
caractere et le temperament de ses habitants se modifiaient peu a peu.
On eut vraiment dit, avec le medecin Dominique Custos, "qu'il leur
poussait des nerfs."
Expliquons-nous cependant. Ce changement incontestable et inconteste ne
se produisait que dans certaines conditions. Lorsque les Quiquendoniens
allaient par les rues de la ville, au grand air, sur les places, le long
du Vaar, ils etaient toujours ces bonnes gens froids et methodiques que
l'on connaissait autrefois. De meme, quand ils se confinaient dans leurs
logis, les uns travaillant de la main, les autres travaillant de la
tete, ceux-ci ne faisant rien, ceux-la ne pensant pas davantage. Leur
vie privee etait silencieuse, inerte, vegetative comme jadis. Nulle
querelle, nul reproche dans les menages, nulle acceleration des
mouvements du coeur, nulle surexcitation de la moelle encephalique. La
moyenne des pulsations restait ce qu'elle etait au bon temps, de
cinquante a cinquante-deux par minute.
Mais, phenomene absolument inexplicable, qui eut mis en defaut la
sagacite des plus ingenieux physiologistes de l'epoque, si les habitants
de Quiquendone ne se modifiaient point dans la vie privee, ils se
metamorphosaient visiblement, au contraire, dans la vie commune, a
propos de ces relations d'individu a individu qu'elle provoque.
Ainsi, se reunissaient-ils dans un edifice public? Cela "n'allait plus",
pour employer l'expression du commissaire Passauf. A la bourse, a
l'hotel de ville, a l'amphitheatre de l'Academie, aux seances du conseil
comme aux reunions des savants, une sorte de revivification se
produisait, une surexcitation singuliere s'emparait bientot des
assistants. Au bout d'une heure, les rapports etaient deja aigres. Apres
deux heures, la discussion degenerait en dispute. Les tetes
s'echauffaient, et l'on en venait aux personnalites. Au temple meme,
pendant le preche, les fideles ne pouvaient entendre de sang-froid le
ministre van Stabel, qui, d'ailleurs, se demenait dans sa chaire et les
admonestait plus severement que d'
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