animaux domestiques, chiens ou chats,
boeufs ou chevaux, anes ou chevres, subissaient cette influence
epidemique, comme si leur milieu habituel eut ete change. Les plantes
elles-memes "s'emancipaient", si l'on veut bien nous pardonner cette
expression.
En effet, dans les jardins, dans les potagers, dans les vergers, se
manifestaient des symptomes extremement curieux. Les plantes grimpantes
grimpaient avec plus d'audace. Les plantes touffantes "touffaient" avec
plus de vigueur. Les arbustes devenaient des arbres. Les graines, a
peine semees, montraient leur petite tete verte, et, dans le meme laps
de temps, elles gagnaient en pouces ce que jadis, et dans les
circonstances les plus favorables, elles gagnaient en lignes. Les
asperges atteignaient deux pieds de hauteur; les artichauts devenaient
gros comme des melons, les melons gros comme des citrouilles, les
citrouilles grosses comme des potirons, les potirons gros comme la
cloche du beffroi, qui mesurait, ma foi, neuf pieds de diametre. Les
choux etaient des buissons et les champignons des parapluies.
Les fruits ne tarderent pas a suivre l'exemple des legumes. Il fallut se
mettre a deux pour manger une fraise et a quatre pour manger une poire.
Les grappes de raisin egalaient cette grappe phenomenale, si
admirablement peinte par le Poussin dans son _Retour des envoyes a la
Terre promise_!
De meme pour les fleurs: les larges violettes repandaient dans l'air des
parfums plus penetrants; les roses exagerees resplendissaient de
couleurs plus vives; les lilas formaient en quelques jours
d'impenetrables taillis; geraniums, marguerites, dahlias, camelias,
rhododendrons, envahissant les allees, s'etouffaient les uns les autres!
La serpe n'y pouvait suffire. Et les tulipes, ces cheres liliacees qui
font la joie des Flamands, quelles emotions elles causerent aux
amateurs! Le digne van Bistrom faillit un jour tomber a la renverse en
voyant dans son jardin une simple _Tulipa gesneriana_ enorme,
monstrueuse, geante, dont le calice servait de nid a toute une famille
de rouges-gorges!
La ville entiere accourut pour voir cette fleur phenomenale et lui
decerna le nom de _Tulipa quiquendonia_.
Mais, helas! si ces plantes, si ces fruits, si ces fleurs poussaient a
vue d'oeil, si tous les vegetaux affectaient de prendre des proportions
colossales, si la vivacite de leurs couleurs et de leur parfum enivrait
l'odorat et le regard, en revanche, ils se fletrissaient vite. Cet air
qu
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