a la voirie
comme une charogne qu'il etait, et meme qu'il avait toujours ete;
apres avoir fait des fetes funeraires dans lesquelles chacun
apportait une urne ou il versait toutes les larmes de son corps,
voila que nos bons Bressans, nos doux Bressans, nos engraisseurs
de poulardes, se sont avises que les republicains etaient tous des
assassins, et qu'ils les ont assassines par charretees, pour les
corriger de ce vilain defaut qu'a l'homme sauvage ou civilise de
tuer son semblable. Vous doutez? Oh! mon cher, sur la route de
Lons-le-Saulnier, si vous etes curieux, on vous montrera la place
ou, voila six mois a peine, il s'est organise une tuerie qui
ferait lever le coeur aux plus feroces sabreurs de nos champs de
bataille. Imaginez-vous une charrette chargee de prisonniers que
l'on conduisait a Lons-le-Saulnier, une charrette a ridelles, une
de ces immenses charrettes sur lesquelles on conduit les veaux a
la boucherie; dans cette charrette, une trentaine d'hommes dont
tout le crime etait une folle exaltation de pensees et de paroles
menacantes; tout cela lie, garrotte, la tete pendante et bosselee
par les cahots, la poitrine haletante de soif, de desespoir et de
terreur; des malheureux qui n'ont pas meme, comme au temps de
Neron et de Commode, la lutte du cirque, la discussion a main
armee avec la mort; que le massacre surprend impuissants et
immobiles; qu'on egorge dans leurs liens et qu'on frappe non
seulement pendant leur vie, mais jusqu'au fond de la mort; sur le
corps desquels -- quand, dans ces corps, le coeur a cesse de
battre -- sur le corps desquels l'assommoir retentit sourd et mat,
pliant les chairs, broyant les os, et des femmes regardant ce
massacre, paisibles et joyeuses, soulevant au-dessus de leurs
tetes leurs enfants battant des mains; des vieillards qui
n'auraient plus du penser qu'a faire une mort chretienne, et qui
contribuaient, par leurs cris et leurs excitations, a faire a ces
malheureux une mort desesperee, et, au milieu de ces vieillards,
un petit septuagenaire, bien coquet, bien poudre, chiquenaudant
son jabot de dentelle pour le moindre grain de poussiere, prenant
son tabac d'Espagne dans une tabatiere d'or avec un chiffre en
diamants, mangeant ses pastilles a l'ambre dans une bonbonniere de
Sevres qui lui a ete donnee par madame du Barry, bonbonniere ornee
du portrait de la donatrice, ce septuagenaire -- voyez le tableau,
mon cher! -- pietinant avec ses escarpins sur ces corps qui ne
laissai
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