Elle dit cela en me regardant fixement; mais je ne bronchai point,
car je ne voulais point qu'elle eut la preuve que j'avais pris des
renseignements sur elle et sur son pere. Qu'elle soupconnat que je
n'etais venu a Cassis que pour la voir, c'etait bien: mais qu'elle sut
que j'avais fait prealablement une sorte d'enquete, c'etait trop.
--Il est vrai qu'il y a un saule dans notre jardin, continua-t-elle, un
saule dont la bouture a ete prise a Sainte-Helene, sur le tombeau de
l'empereur, mais il n'a encore que quelques metres de hauteur et nous ne
pouvons l'apercevoir d'ici. A propos de l'empereur, l'aimez-vous?
Je restai interloque, ne sachant que repondre a cette question ainsi
posee, et ne pouvant repondre d'un mot d'ailleurs, car le sentiment que
m'inspire Napoleon est tres-complexe, compose de bon et de mauvais;
ce n'est ni de l'amour ni de la haine, et je n'ai a son egard ni les
superstitions du culte, ni les injustices de l'hostilite; ni Dieu, ni
monstre, mais un homme a glorifier parfois, a condamner souvent, a juger
toujours.
--C'est que si vous voulez etre bien avec mon pere, dit-elle apres un
moment d'attente, il faut admirer et aimer l'empereur. La-dessus il
ne souffre pas la contradiction. Sa foi, je vous en previens, est
tres-intolerante; un mot de blame est pour lui une injure personnelle.
Mais tous les militaires admirent Napoleon.
--Tous au moins admirent le vainqueur d'Austerlitz.
--Eh bien, vous lui parlerez du vainqueur d'Austerlitz et vous vous
entendrez. Mon pere etait a Austerlitz; il pourra vous raconter sur
cette grande bataille des choses interessantes. Mon pere a fait toutes
les campagnes de l'empire et presque toutes celles de la Republique.
--L'histoire a garde son nom dans la retraite de Russie et a Waterloo.
--Ah! vous savez? dit-elle en m'examinant de nouveau.
--Ce que tout le monde sait.
Mes yeux se baisserent devant les siens.
Apres un moment de silence, elle reprit:
--Vous ne regardez donc pas Cassis?
--Mais si.
Nous descendions une cote, et a mesure que nous avancions, le village se
montrait plus distinct au bas de deux vallons qui se joignent au bord
de la mer. Au-dessus des toits et des cheminees, on apercevait quelques
mats de navires qui disaient qu'un petit port etait la.
Si bien dispose que je fusse a trouver tout charmant, l'aspect de ces
vallons me parut triste et monotone: point d'arbres, et seulement ca et
la des oliviers au feuillage poussiereu
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