s celle de la realite.
Ce n'etait pas de la realite que j'avais souci d'ailleurs. Que
m'importait le paysage qui se deroulait devant nous, divers et changeant
a mesure que nous avancions? Que m'importaient les arbres et les
oiseaux? J'etais pres d'elle; et insensible aux choses de la terre
j'etais perdu en elle.
En l'apercevant pour la premiere fois dans le bal j'avais ete
instantanement frappe par l'eclat de sa beaute qui m'avait ebloui comme
l'eut fait un eclair ou un rayon de soleil; maintenant c'etait un charme
plus doux, mais non moins puissant, qui m'envahissait et me penetrait
jusqu'au coeur; c'etait la seduction de son sourire, la fascination
troublante de son regard, la musique de sa voix; c'etait son geste plein
de grace, c'etait sa parole simple et joyeuse; c'etait le parfum qui se
degageait d'elle pour m'enivrer et m'exalter.
Jamais temps ne m'a paru s'ecouler si vite, et je fus tout surpris
lorsque, etendant la main, elle me montra dans le lointain, au bas
d'une cote, un amas de maison sur le bord de la mer, et me dit que nous
arrivions.
--Comment! nous arrivons. Je croyais que Cassis etait a quatre ou cinq
lieues de Marseille. Nous n'avons pas fait cinq lieues!
--Nous en avons fait plus de dix, dit-elle en souriant.
--Je ne suis donc pas dans la voiture de Cassis?
--Vous y etes, et c'est Cassis que vous avez devant les yeux.
Mon etonnement dut avoir quelque chose de grotesque, car elle partit
d'un eclat de rire si franc que je me mis a rire aussi; elle eut pleure,
j'aurais pleure: je n'etais plus moi.
--Alors nous marchons de merveilleux en merveilleux.
--Non, mais nous avons marche avec un detour; par la cote de Saint-Cyr,
Cassis est a quatre lieues de Marseille, mais nous sommes venus par
Aubagne, ce qui a augmente de beaucoup la distance.
--Je n'ai pas trouve la distance trop longue; nous serions venus par
Toulon ou par Constantinople que je ne m'en serais pas plaint.
--La masse sombre que vous apercevez devant vous, dit-elle sans repondre
a cette niaiserie, est le chateau qui a decide votre voyage a Cassis.
Plus bas aupres de l'eglise, ou vous voyez un arbre depasser les toits,
est le jardin de mon pere.
--Un saule, je crois.
--Non, un platane; ce qui ne ressemble guere a un saule.
--Assurement, mais de loin la confusion est possible.
--Dites que la distinction est impossible et vous serez mieux dans la
verite; aussi suis-je surprise que vous ayez cru voir un saule.
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