devais aimer. Laquelle?
Cette idee avait a peine effleure mon esprit, quand j'apercus, a
quelques pas devant moi, une jeune fille d'une beaute saisissante.
Pres d'elle etait une femme de quarante ans, a la physionomie et a la
toilette vulgaires. Ma premiere pensee fut que c'etait sa mere.
Mais a les bien regarder toutes deux, cette supposition devenait
improbable tant les contrastes entre elles etaient prononces. La jeune
fille, avec ses cheveux noirs, son teint mat, ses yeux profonds et
veloutes, ses epaules tombantes, etait la distinction meme; la vieille
femme, petite, replete et couperosee, n'etait rien qu'une vieille femme;
la toilette de la jeune fille etait charmante de simplicite et de bon
gout; celle de son chaperon etait ridicule dans le pretentieux et le
cherche.
Je restai assez longtemps a la contempler, perdu dans une admiration
emue; puis, je m'approchai d'elle pour l'inviter. Mais force de faire un
detour, je fus prevenu par un grand jeune homme lourdaud et timide, gene
dans son habit (un commis de magasin assurement), qui l'emmena a l'autre
bout de la chambre.
Je la suivis et la regardai danser. Si elle etait charmante au repos,
dansant elle etait plus charmante encore. Sa taille ronde avait une
souplesse d'une grace feline; elle eut marche sur les eaux tant sa
demarche etait legere.
Quelle etait cette jeune fille? Par malheur, je n'avais pres de moi
personne qu'il me fut possible d'interroger.
Lorsqu'elle revint a sa place, je me hatai de m'approcher et je
l'invitai pour une valse, qu'elle m'accorda avec le plus delicieux
sourire que j'aie jamais vu.
Malheureusement, la valse est peu favorable a la conversation; et
d'ailleurs, lorsque je la tins contre moi, respirant son haleine,
plongeant dans ses yeux, je ne pensai pas a parler et me laissai
emporter par l'ivresse de la danse.
Lorsque je la quittai apres l'avoir ramenee, tout ce que je savais
d'elle, c'etait qu'elle n'etait point de Marseille, et qu'elle avait ete
amenee a cette soiree par une cousine, chez laquelle elle etait venue
passer quelques jours.
Ce n'etait point assez pour ma curiosite impatiente. Je voulus savoir
qui elle etait, comment elle se nommait, quelle etait sa famille; et je
me mis a la recherche de Marius Bedarrides, le frere de la mariee, pour
qu'il me renseignat; puisque cette jeune fille etait invitee chez lui,
il devait la connaitre.
Mais Marius Bedarrides, peu sensible au plaisir de la danse, etait au
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