dit a son estomac que depuis quinze jours bientot, elle ne lui
donnait que du pain sec et de l'eau: et c'etaient ces oeufs qui
avaient guide son reve en lui montrant ces marmitons et toutes ces
cuisines fantastiques; il avait faim de ces bonnes choses cet
estomac et il le disait a sa maniere en provoquant ces visions,
qui en realite n'etaient que des protestations.
Pourquoi n'avait-elle pas pris ces oeufs, ou quelques-uns de ces
oeufs qui n'appartenaient a personne, puisque la sarcelle qui les
avait pondus etait une bete sauvage? Assurement, n'ayant a sa
disposition ni casserole, ni poele, ni ustensile d'aucune sorte,
elle ne pouvait se preparer aucun des plats qui venaient de
defiler devant ses yeux, tous plus allechants, plus savants les
uns que les autres; mais c'est la le merite des oeufs precisement
qu'ils n'ont pas besoin de preparations savantes: une allumette
pour mettre le feu a un petit tas de bois sec ramasse dans les
taillis, et sous la cendre il lui etait facile de les faire cuire
comme elle voulait, a la coque ou durs, en attendant qu'elle put
se payer une casserole ou un plat. Pour ne pas ressembler au
festin que son reve avait invente, ce serait un regal qui aurait
son prix.
Plus d'une fois pendant son travail ce pourquoi lui revint a
l'esprit, et si ce ne fut pas avec le caractere d'une obsession
comme son reve, il fut cependant assez pressant pour qu'a la
sortie elle se trouvat decidee a acheter une boite d'allumettes et
un sou de sel; puis ces acquisitions faites elle partit en courant
pour revenir a son entaille.
Elle avait trop bien retenu la place du nid pour ne pas le
retrouver tout de suite, mais ce soir-la la mere ne l'occupait
pas; seulement elle y etait venue a un moment quelconque de la
journee, puisque maintenant au lieu de dix oeufs il y en avait
onze; ce qui prouvait que n'ayant pas fini de pondre elle ne
couvait pas encore.
C'etait la une bonne chance, d'abord parce que les oeufs seraient
frais, et puis parce qu'en en prenant seulement cinq ou six la
sarcelle, qui ne savait pas compter, ne s'apercevrait de rien.
Autrefois Perrine n'eut pas eu de ces scrupules et elle eut vide
completement le nid, sans aucun souci, mais les chagrins qu'elle
avait eprouves lui avaient mis au coeur une compassion attendrie
pour les chagrins des autres, de meme que son affection pour
Palikare lui avait inspire pour toutes les betes une sympathie
qu'elle ne connaissait pas en son enfance. Cette sa
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