s'echapper par une des portes du salon, pendant que M.
Costeclar entrait par l'autre.
S'il avait assez de perspicacite pour deviner ce qui venait de se
passer, il n'en laissa rien paraitre; il s'assit, et ce n'est qu'apres
avoir parle un moment de choses indifferentes qu'il demanda des
nouvelles de Mlle Gilberte.
--Elle est un peu... indisposee, balbutia Mme Favoral.
Il ne sembla pas surpris. Seulement:
--Ce cher Favoral, dit-il, sera encore plus peine que moi, quand
je lui apprendrai ce contre-temps.
Mieux que toute autre mere, Mme Favoral devait comprendre, approuver
et servir les invincibles repugnances de Mlle Gilberte.
A elle aussi, quand elle etait jeune fille, son pere un jour, etait
venu dire: Je t'ai decouvert un mari.
Elle l'avait accepte les yeux fermes. Toute froissee et meurtrie
d'outrages quotidiens, elle s'etait refugiee dans le mariage comme
dans un port de salut.
Et depuis, il ne s'etait guere ecoule de journee qu'elle ne se dit que
mieux pour elle eut valu mourir que de se river au cou cette chaine
que la mort seule peut briser.
Donc, elle donnait raison a sa fille.
Et cependant, vingt annees d'esclavage avaient a ce point detendu les
ressorts de son energie, que sous l'oeil de M. Costeclar la menacant
de son mari, elle se troublait, ne sachant que balbutier de timides
excuses. Et elle le laissa prolonger sa visite, son supplice a elle,
par consequent, une grande demi-heure encore.
Puis, lorsqu'il fut parti:
--Ton pere et lui s'entendent, dit-elle a sa fille, ce n'est que trop
visible. A quoi bon lutter?...
Une fugitive rougeur colora les joues palies de Mlle Gilberte. Depuis
quarante-huit heures qu'elle s'epuisait a chercher une issue a une
situation impossible, elle avait accoutume son esprit aux pires
eventualites.
--Veux-tu donc que je deserte la maison paternelle? s'ecria-t-elle.
Mme Favoral faillit tomber a la renverse.
--Tu t'enfuirais, begaya-t-elle, toi!...
--Plutot que de devenir la femme de cet homme, oui!
--Et ou irais-tu, malheureuse enfant? et que deviendrais-tu?
--Je saurais gagner ma vie.
Tristement, Mme Favoral hochait la tete. Les memes soupcons qui deja
l'avaient agitee tressaillaient en elle.
--Gilberte! supplia-t-elle, ne suis-je donc plus ta meilleure amie?
ne me diras-tu pas a quelles sources tu puises ton courage et ta
resolution?
Et comme la jeune fille se taisait:
--Dieu seul sait ce qui peut advenir! soupira la pauvre femm
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